Multilinguisme [2] – Différentes langues confèrent-elles des personnalités différentes? [2] Par R.L.G. | BERLIN

Par R.L.G. | BERLIN

Le blogue Prospero diffuse un aperçu littéraire et des commentaires culturels des correspondants du magazine The Economist. Dans le Prospero du 5 novembre 2013, Johnson questionne : Dans un article précèdent, Johnson avait déjà jeté un coup d’oeil sur quelques-uns des avantages du bilinguisme, notamment :

  • la capacité du cerveau à planifier et prioriser, ce qu’en anglais on appelle executive fonctions
  • Une plus grande défense contre la démence chez les personnes âgées
  • Et bien sûr, la capacité à parler une deuxième langue.

Un avantage présumé cependant n’a pas été mentionné. Il s’agit de l’avantage rapporté par de nombreux multilingues :

  • La perception d’une personnalité ou même d’une vision du monde différente selon que l’on parle une langue ou une autre.

Ce serait donc la notion que son soi puisse s’accroitre par la maitrise de plusieurs langues. C’est somme toute évident quand on songe à la littérature ou aux possibilités de faire de nouvelles connaissances. Mais cela n’est pas vraiment ce que ces bilingues revendiquent, ils prétendent avoir une personnalité différence selon la langue qu’ils parlent. Johnson donne pour exemple un ancien collègue au magazine qui affirmait : être plus abrupt, peut-être même plus sévère quand il parlait en hébreu, plutôt qu’en anglais. multi 2 Benjamin Lee Whorf, un linguiste américain, a estimé que chaque langue encode une vision du monde qui influence de manière significative ceux qui la parlent. Cet idée, souvent appelée le Whorfianisme ne convainc pas tout le monde, elle vaut toutefois la peine d’être examinée. Le Whorfanisme n’est pas nécessairement lié au vocabulaire ou à la grammaire. Qu’une langue ait été apprise en famille ou à l’école ou par quelques autres expériences, il est évident que tous les bilingues ne le sont pas au même degré. Pris individuellement, chaque bilingue a ses points forts et ses faiblesses. En partie parce que travailler dans une langue secondaire ralentit la pensée. Il n’est donc pas étonnant que lorsqu’un bilingue parle en sa langue maternelle qu’il connait depuis sa plus tendre enfance il soit plus spontané, peut-être plus autoritaire, plus souple et plus drôle. Même les enfants élevés en parlant deux langues démontrent  des points forts et des faiblesses dans chacune des deux langues. C’est dû en partie à la différence entre bilinguisme et biculturalisme. Chez certains, ces deux facteurs peuvent être à égalité, mais ce n’est pas vrai pour tous.  Des expériences en psychologie ont démontré le pouvoir de l’influence ou plutôt de l’incitation. Le fait de demander à quelqu’un de raconter une histoire plaisante le place dans une plus gracieuse humeur. Le choix entre deux langues est par soi-même une énorme incitation. Parler l’espagnol pour un Portoricain bilingue et biculturel vivant à New York évoque des sentiments de famille et de sa terre natale. Par contre, passer à l’anglais pourrait évoquer l’école ou le travail. L’asymétrie entre les connaissances des deux langues et l’incitation sont donc deux très bonnes raisons qui peuvent influencer ce que les bilingues éprouvent en parlant une langue plutôt

qu’une autre. multi 4   Mais il reste un troisième argument à examiner. Une économiste, Athanasia Chalari, récemment interviewée prétend ce qui suit : « Les Grecs parlent fort et ils   s’interrompent fréquemment   les uns les autres.C’est une caractéristique causée par la grammaire et la syntaxe de la langue. Les Grecs en parlant commencent leurs phrases avec le verbe et la forme du verbe, ce qui contient énormément d’information qui permet de comprendre où celui qui parle veut en venir. Il est donc plus facile d’interrompre après le premier mot. » Y a-t-il donc un facteur intrinsèque à la langue grecque ? Johnson n’en est pas convaincu. Il semble, rapporte-t-il, que les gens aiment raconter des histoires sur  les propriétés intrinsèques de leur langue et sur la façon dont elles influencent ceux qui la parlent.

Un groupe d’intellectuels français aurait, paraît-il suggéré la notion plutôt flatteuse que le français est la langue juridique de l’Union européenne en raison de sa soi-disant, dit Johnson, incomparable rigueur et précision. Par ailleurs, certains Allemands prétendraient que mettre le verbe à la fin d’une phrase la rend particulièrement logique. Mais les mythes linguistiques ne sont pas toujours flatteurs, poursuit l’auteur. Nombreuses sont les personnes qui pensent que leur langue est particulièrement illogique et difficile.Les pros Whorf ont tendance à trouver un certain exotisme dans leur langue. C’est ainsi que nous rencontrons un point de rencontre entre les clichés : français et rigueur, allemand et logique.

multi 5   En ce qui concerne les suggestions de Mme Chalari, une femme d’une érudition certaine, elle a au moins proposé une raison plausible et spécifique du rapport entre la grammaire et la personnalité : En grec, le verbe vient en premier. Le problème est que de nombreuses langues à travers le monde mettent le verbe en premier logeant donc  beaucoup de renseignements dans les verbes. Ce serait donc une conclusion remarquable si tous ceux qui parlent ces langues étaient susceptibles de s’interrompre les uns les autres. Le gallois par exemple met le verbe en premier et a des particularités similaires à celles du grec. Mais les Gallois ne sont pas connus comme étant des causeurs particulièrement insistants. Dans ce cas, Mme Chalari a au moins proposé une ligne spécifique et plausible de la grammaire influençant la personnalité: puisqu’en grec, le verbe vient en premier, et il charrie pas mal d’information facilitant les interruptions. Le problème est que de nombreuses langues, sans rapport les unes avec les autres à travers le monde, ont mis le verbe au début de leur phrase y plaçant donc beaucoup d’information. Ce serait une impressionnante conclusion si l’ensemble de ces langues conduisait ceux qui parlent à s’interrompre. Le gallois, par exemple, place le verbe contenant autant d’information au début de la phrase que le grec. Mais les Gallois ne sont pas connus pour couper la parole à leurs interlocuteurs.     multi 7

Les Néo-Whorfiens continuent de fournir des preuves et des analyses qui visent à prouver que des langues différentes encouragent à penser différemment. Un effort dans ce sens est la récente sortie de « The Bilingual Mind par Aneta Pavlenko, dans lequel Mme Pavlenko parle à François Grosjean, psycholinguiste à l’université de Neuchâtel. D’autre part, John McWhorter prend le contre-pied de l’argument  dans «The Language Hoax», «La blague de la langue », à paraître en février prochain. Nous reviendrons donc sur ce débat. Mais de solides arguments Whorfiens n’ont pas besoin d’être validés pour que chacun se perçoive différemment dans une langue et dans une autre.

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