D’une côte à l’autre par avion
J’ai eu récemment l’occasion de faire un vol de Boston à Los Angeles, 4172 km à parcourir sans escale en 6 heures d’avion, de la Côte Est à la Côte Ouest, de l’atlantique au pacifique. Presque l’aller et retour Paris Moscou.
Notre voyage commence par un grand crochet au-dessus de l’Atlantique avant que notre avion ne se porte vers le sud-ouest. Il prend de l’altitude et perce la couche des nuages pour se diriger vers la Pennsylvanie, traverser l’Ohio, puis le Kentucky, avant de se tourner plein ouest et de survoler le Missouri et le Kansas. Nous survolons le vaste Midwest. Lorsqu’enfin la couverture des nuages s’estompe, le ciel est clair, le soleil brille, et sous nos ailes je découvre un quadrillage de routes à angle droit, qui découpent des champs. On a du mal à discerner les maisons et les fermes à près de 11,000 mètres d’altitude.
Ici et là, un cercle parfait occupe toute la surface d’un quadrangle entre deux routes. Sa couleur verte, quelquefois brune, tranche sur les champs adjacents jaune et ocre.. Lorsqu’ils sont contigus, les cercles ressemblent à des pièces d’un jeu de dames. Ils se font plus fréquents par endroits et se touchent, séparés seulement par une route, toujours droite et sans courbe. Les cercles sont les conséquences du système d’irrigation. Un système d’arrosage puise l’eau souterraine des nappes phréatiques et la distribue sur le champ qui l’entoure par un système d’arrosoirs géants qui tournent en rond.
De temps en temps, au croisement de deux routes, une bourgade s’allonge tels de minuscules dominos ses habitations serrées les unes contre les autres. Ailleurs, une ferme solitaire s’est encastrée dans le coin entre deux carreaux le long d’une route. Ininterrompu, le perpétuel échiquier du paysage se poursuit sous mes yeux pendant plus de deux heures.
Soudainement, le panorama sous nos pieds se métamorphose. Une chaine de montagnes axée du nord au sud se dessine à l’avant de l’avion comme pour barrer notre route. Sans transition, nous passons de la plaine, morne, plate et sans relief à des sommets escarpés qui s’unissent les uns aux autres, formant crêtes et vallées sur leurs bas côtés. C’est une chaine montagneuse qui s’étend du Nouveau-Mexique au sud jusqu’au Montana au nord. En hiver, les montagnes sont recouvertes d’un épais tapis de neige blanche qui arrondit les angles, mais aujourd’hui, sous le soleil d’été, le gris foncé, le brun et le noir dominent jusqu’aux sommets teintés de bleu qui se fondent dans l’azur du ciel. Rien que dans le Colorado que nous traversons, plus de 54 arêtes s’élèvent à plus de 4200 mètres d’altitude. Notre avion n’est plus qu’à 6,000 mètres au dessus des cimes qui soudain semblent si proches.
Bientôt le paysage se transforme encore. Les cimes des montagnes sont moins élevées, elles forment de vastes plateaux aériens, imposantes plates-formes aplaties et apparemment sableuses aux contours acérés qui plongent à pic dans de sombres gorges que l’on devine sans jamais en voir le fond. Les montagnes s’écartent maintenant découvrant des couloirs désertiques entourés de pics. La terre dans les vallées, sans doute du sable, passe d’un beige bistré au jaune satiné. Les couleurs s’estompent encore et passent du safran, à l’orange, contrastant avec le rouge des roches qui les enserrent. Les routes s’insinuent à travers le désert, minces rubans jaunes qui s’étirent et se faufilent sur les bas flancs des montagnes. On devine Las Vegas beaucoup plus au nord, presqu’à l’horizon.
Notre avion vire à gauche mettant le cap plein sud-ouest. Inopinément, alors que nous survolons une vallée désertique, une demi-douzaine de cercles d’irrigation réapparaissent en grappe. Le vert foncé des disques tranche avec le sable doré alentour. Puis, le désert reprend le terrain. Sa teinte devient marron, un brun bleuté d’où jaillissent les cimes à l’entoure. Soudain, un immense lac d’un bleu intense apparait sous nos ailes. Il surprend par la richesse de sa couleur presque fantastique. Il faut une bonne minute pour que nous passions du côté est à l’extrémité ouest du lac.
Bordé de sable jaune, le lac s’effile vers le sud pour ne devenir qu’un large cours d’eau d’un bleu soutenu qui reflechit l’azure et sépare le désert en deux. Le cours d’eau en fait détermine la frontière entre l’Arizona et le Nevada. Des escarpements entrecoupés de gorges resurgissent. Des taches éparses d’un brillant jaune qui ressemble à du soufre apparaissent à flanc de montagne. Le long bandeau d’une route se déroule vers l’ouest, filant vers la côte que nous approchons; une voie ferrée la longe et fait un bout de chemin en sa compagnie. Nous laissons derrière nous ce prodigieux paysage d’une beauté sauvage comme nulle part ailleurs.
Les sommets, à présent, se couvrent de pins. Une route conduit notre regard jusqu’à une agglomération que nous survolons. Un paysage urbain sans relief s’étend à présent sous nos ailes. Poursuivant notre route vers la côte pacifique, nous perdons insensiblement de l’altitude. Sur notre droite, de plus modestes pics montagneux nous accompagnent. L’échelle est faussée, ils semblent si proches qu’on pense pouvoir les toucher. Une route descend entre deux pics rocheux et rejoint les maisons qui s’allongent le long de rues parallèles ou en demi cercles, bordées de maisons derrière chacune desquelles une piscine procure une note azurée. Une légère et inattendue brume ouatée provenant de l’océan soudain enveloppe l’avion. Sous nos ailes un parc offre une tache de verdure dans ce paysage urbain. La brume s’épaissit, le ronronnement du train d’atterrissage se fait entendre et trémule sous nos pieds. Nous sommes au-dessus de maisons d’un seul étage aux toits de tuiles rouges. Le quartier que nous survolons à basse altitude paraît modeste. Plus de piscines accolées aux maisons. Nous atterrissons.
Le voyage aura été long, il aura duré six heures. Plus ou moins le temps qu’il faut pour aller de Boston à Paris. Nous venons de traverser trois faisceaux horaires, mais ici on parle la même langue, les Macdos offriront le même menu qu’à Boston, les programmes des stations de télévision seront les mêmes qu’à Boston, bien que la géographie soit totalement différente. Le paysage est gorgé de soleil, le ciel est d’un bleu sublime. Les palmiers aux longs cous arborent leurs crêtes feuillues et font penser à des girafes. C’est la Californie.