Joyeux envol pour l’arrivée des invités : Des réfugiés syriens
Par DAN BARRY
Le New York Times
le 24 décembre 2016
Ce récit émouvant de la préparation à l’arrivée d’une famille syrienne aux États-Unis, sous-entend une enquête par le gouvernement US préparant le dossier de la famille, un séjour souvent difficile pouvant aller jusqu’à deux ans dans un camp en dehors du pays, et cela après avoir subi les horreurs de la guerre, peut-être la perte de proches et d’autres abominations encore. Ce qui n’est pas dit ici est que cette histoire reflète l’arrivée de millions d’Américains au cours des siècles, depuis l’arrivée du May Flower.
LANCASTER, PA. — Une maison gris mate à flanc de coteau deviendra un chez-soi. Une autre famille de réfugiés syriens doit bientôt arriver, et cet espace vide aux échos de vieille maison devrait être prêt pour les accueillir.
Le programme de relocalisation du State Department avait passé le mot. Une mère, un père, son frère et quatre enfants, le plus jeune âgé de 10 ans. Musulmans, arrivant dans les prochains jours à New York sur un vol venant de Turquie.
Leur arrivée imminente explique l’agitation à l’intérieur de cette maison couleur ardoise dans la petite ville de Lancaster, dans le sud de la Pennsylvanie. L’État a peut-être voté pour Donald J. Trump qui a comparé le programme de relocation des Syriens à « un grand cheval de Troie » pour terroristes. Mais il n’est pas encore président.
Le Church World Service est un organisme national sans but lucratif qui aide le gouvernement à accueillir des réfugiés fuyant la violence et la persécution. C’est pourquoi les volontaires et les membres du personnel de l’église nettoient des placards, placent des meubles et font de leur mieux pour produire la chaleur d’un foyer. Mais pas trop de chaleur de foyer.
« Si on en fait trop, la famille peut avoir le sentiment de se sentir chez quelqu’un d’autre. » Dis Josh Digrugilliers, 26 ans, le spécialiste du groupe des logements, dont le trousseau de clefs cliquette rappelant tous les réfugiés dans le besoin.
Il examine la liste du gouvernement sur les conditions internes pour une relocation. Il est conscient du fait que ce qu’il dépense sera déduit du budget du gouvernement de $1 125 que les réfugiés ne recevront qu’une seule fois. Le budget total qu’une famille reçoit doit couvrir son loyer et autre dépense jusqu’à ce que l’organisation bénévole aide les adultes à acquérir leurs numéros de sécurité sociale et leurs emplois.
Les meubles utilisés que l’on a amenés ici expriment la frugalité. Une partie provient de dons et est amassée dans un garage déjà rempli, où l’on peut lire un signe en Arabe « Bienvenue dans cette maison ». D’autres articles, les chaises à $5, les tables à $20 ont été acquis à très bon prix au marché aux puces du Vieux Moulin de la ville de Root.
La peinture fraîche et le nouveau plancher donnent à la maison l’odeur d’un nouveau départ, grâce au propriétaire, John Liang, qui est arrivé à Lancaster encore enfant, l’un des « boat people » qui ont fui le Vietnam après la guerre sur des navires dangereusement surchargés. Il a passé un an, particulièrement atroce, dans un camp de réfugiés avant d’arriver à Lancaster, où lui et sa famille ont livré des journaux, pelleté la neige, faite de la couture, travaillée sur les chaînes de montage et n’importe quoi d’autre.
À 45 ans, M. Liang fait des heures supplémentaires à l’usine voisine de la compagnie de céréale Kellogg et gère plusieurs propriétés qu’il possède, y compris cette maison, qu’il veut conserver telle qu’elle est. « Il y a des gens qui vivent encore plus durement que ce que j’ai eu à vivre,»dit-il.
Une histoire de résignation
Digrugilliers regarde sa liste de contrôle à la cuisine, où le comptoir est encombré par une vaisselle mal assortie, de nouveaux appareils de cuisine attachés avec des bandes élastiques. Une serviette de cuisine accrochée à la poignée du four est imprimée d’un calendrier de 1968, autre année tumultueuse.
Viennent ensuite les chambres à coucher à l’étage. Les lits jumeaux des enfants, achetés à prix réduit à la Lancaster Mattress Company, sont recouverts de Bulldogs noirs de Georgie, de la roue ailée des Detroit Red Wings et d’autres invitations à dormir dans des cocons de culture américaine.
Armé d’une liste de ce que lui et un collègue ont besoin, Orion Hernandez, montent dans une fourgonnette de McDonald cabossée. Ils se dirigent vers Walmart, où M. Digrugilliers identifie un homme mince quittant le magasin — un réfugié népalais relogé ici il y a deux ans.
« Hé, comment allez-vous ? » demande M. Digrugilliers. « Bonjour, » répond l’homme.
De telles rencontres se produisent souvent à Lancaster, où se trouve enracinée une riche histoire de tolérance, en partie due à l’influence des mennonites, des amish et des membres d’autres croyances. Un aperçu du monde local a été perçu en janvier dernier quand un rassemblement de support de plus de 200 personnes a noyé une protestation beaucoup plus petite d’anti-immigré devant le bureau du Church World Service, ici.
Sheila Mastropietro, la surveillante de longue date terme du groupe à Lancaster en a pris, à cette occasion, conscience, réfléchissant sur une compréhension globale de la crise des réfugiés et du procédé de dépistage rigoureux qu’ils subissent avant d’arriver aux États-Unis.
Cependant, « en considération du fait que nous avons un président désigné qui semble opposé au modeste engagement du pays à la relocalisation de réfugié, » Mme Mastropietro affirma, « nous ne savons que prévoir. Au cours de la dernière période fiscale le bureau de Lancaster du Church World Service a aidé à reclasser 407 des 85.000 réfugiés admis aux USA; pour cette période fiscale, sa cible est de 550 sur les 110.000 espérés.
« Nous agissons comme si ces chiffres seront inchangés, jusqu’à ce que l’on nous dise qu’il en sera autrement » ajoute-t-elle.
Des dizaines d’années de relocation ont transformé la région de Lancaster en un mélange de cultures si riches qu’Amer Alfayadh, 34, le directeur supérieur, tente de toutes les nommer : « Syriens, Irakiens, Somalis, Congolais, Ukrainiens, Biélorussiens, les gens de Kazakhs. Puis, naturellement, libanais, palestiniens, bhoutanais, népalais, Birman, sri lankais… »
Alfayadh lui-même est arrivé d’Irak en 2010. Bien qu’étant ingénieur, il a travaillé dans un magasin Lowe’s — au service des clients du rayon de peinture, pelouse et jardin et en tant que professeur substitut avant d’être engagé pour aider d’autres réfugiés. Il a maintenant l’habitude des appels de nuit urgents de ceux qui fraîchement arrivées ne sont pas familiers avec, par exemple, les clefs des portes.
Les nouveaux clients ont souvent atteint leurs limites, incertains de ce qu’ils doivent penser de cette terre exotique appelée la Pennsylvanie. Sachant combien il est difficile à quelqu’un en crise de voir devant soi que ce soit au travail. À l’école, ou que ce soit le futur M. Alfayadh dit qu’il essaye de faire passer un simple message :
« O.K. Demain sera meilleur. »
À Walmart, M. Digrugilliers et M. Hernandez réquisitionnent deux caddies chacun et commencent à avancer dans l’énorme magasin comme s’ils étaient des concurrents sur un jeu de courses à l’achat à la télévision, attrapant au passage des articles particuliers que ce soit des parapluies ou des serviettes sanitaires. Une fois ses achats terminés, M. Digrugilliers monte sur son caddie comme si c’était un skateboard et s’éloigne dans l’ombre, empli d’espoir que le voyage d’une certaine famille de réfugiés sera aussi facile.
Cela ne l’est pas. La Church World Service est bientôt avisée que la relocation d’une famille particulière a été différée, un fréquent retard qui peut être provoqué par quelque chose aussi simple que l’augmentation temporaire de la tension artérielle à l’aéroport d’un demandeur d’asile.
Mais il n’y a pas de réfugiés que les tempêtes ne soufflent aux quatre vents. Valentina Ross, la cadre de M. Alfayadh, se rappelle qu’une autre famille syrienne doit arriver dans quelques jours : un père, une mère, trois filles et un garçon. Ils auront besoin d’une maison.
L’esprit de vacances fourmille
Le grand jour est arrivé. Un air de vacances court à travers le centre de Lancaster, avec son colossal arbre de Noël scintillant à Penn Square et ses vieilles maisons de brique enveloppées dans les lumières de fête.
À un mile plus loin, une employée du Church World Service nommée Gaby Garver, diplômée universitaire de 22 ans, recueille des provisions pour la nouvelle famille à un point de ramassage de nourriture. Signant quelques papiers, elle annonce, « et svp, pas de viande pour la famille. »
Alors que Ms Garver se prépare à partir avec du lait, des légumes et d’autres articles, un volontaire du point de ramassage demande : « Puisque vous n’avez pas pris de viande, aimeriez-vous plus de riz ? »
Oui, svp.
Il faut encore de la nourriture. Ms. Garver guide sa Pontiac 1999 à travers une pluie froide jusqu’au supermarché Save-A-Lot où la marchandise est arrangée dans des caisses de carton ouvertes. Elle repart 10 minutes plus tard avec du pain, des fruits, des haricots, du sucre, du thé et un reçu pour $26,58, qui sera déduit du budget alloué à la famille.
Courbée contre le mauvais temps, la fine et allongée jeune femme fait deux voyages portant la nourriture dans la maison grise. Après le stockage du réfrigérateur et des placards, elle fait une inspection de dernière minute. Le réfrigérateur est froid, l’eau chaude est au robinet et les brûleurs de la cuisinière à gaz s’allument facilement.
Tout à l’étage est prêt aussi, avec quelques touches personnelles supplémentaires. De nouveaux pyjamas et des serviettes. De nouveaux cintres, cadres de tableau sur les étagères sur lesquels on voit les photos génériques de familles gaies. Et sur un des lits jumeaux, le ballon de football d’un enfant, encore dans sa boîte.
Étreintes et poignées de main
La pluie s’est arrêtée, une tranche de lune s’est levée. Ms. Garver conduit maintenant jusqu’à la maison d’une famille syrienne arrivée il y a sept mois. La mère a préparé un repas chaud pour la famille de réfugiés sur le point de débarquer d’une minute à l’autre à New York, à trois heures de voiture .
À l’intérieur de la maison où cinq enfants en bas âge jouent et passent en éclair, le plat cuisiné repose en attente sur la table de la salle à manger : c’est un grand plateau en aluminium rempli de poulet et de riz et un énorme saladier rempli de verdure.
Le plus âgé des enfants, Mohamad, 14 ans, aide Ms. Garver à porter la nourriture jusqu’à son véhicule, et elle le remercie. Il répond avec la formalité donnée à une nouvelle langue qu’on essaye.
« Vous êtes bienvenu, » dit le garçon, en souriant.
Retournant à la maison grise, Ms. Garver tâte dans l’obscurité pour ouvrir la porte tout en portant le plateau de nourriture encore chaud. Quand elle retourne avec le saladier, elle se penche pour ramasser quelques imprimés publicitaires, y compris une publicité insidieuse adressée à « notre voisin. »
Plus tard ce soir, Ms. Garver et M. Alfayadh conduiront une fourgonnette Ford jusqu’à l’aéroport de Lancaster, où ils rencontreront deux représentants du centre islamique local. Peu après, une autre fourgonnette arrivera de Kennedy International Airport.
Des étreintes et des poignées de main seront échangées dans l’air de décembre. Les bagages seront rassemblés. Et on conduira les six réfugiés syriens 20 minutes jusqu’à une maison chaude parfumée de la nourriture chaude, dans une ville rendue rayonnante par les lumières multicolores de la saison.