La chute de la France ?

La performance de la France

est bien meilleure que

l’on ne peut le deviner au travers

des bulletins de nouvelles

Paul Krugman éditorialiste,

Le New York Times

28 août, 2014

 

On ne peut pas dire que Mario Draghi ne collabore pas. Le président de la Banque Centrale Européenne a une fois de plus répondu aux demandes des politiciens européens jeudi dernier en annonçant une nouvelle série de baisses de taux d’intérêt et la promesse de plus d’assouplissements monétaires à venir. Dommage que les politiciens continuent à utiliser M. Draghi comme une excuse pour esquiver leurs responsabilités de passer des réformes favorables à la croissance.

L’Europe a désespérément besoin que le chef d’une grande économie – une économie qui ne serait pas dans un état lamentable – soit capable de se lever et d’annoncer que l’austérité est en train de tuer les perspectives économiques du continent.

M. Hollande aurait pu et aurait dû être ce leader, mais il ne l’est pas. Il a été élu sur la promesse de se détourner de la brève et insuffisante politique d’austérité qui a tué la courte et insuffisante reprise économique de l’Europe.

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Les justifications intellectuelles de ces politiques ayant été  faibles et prêtes à s’effondrer, il aurait pu diriger un bloc de nations exigeant un changement de cap. Mais cela ne devait pas être. Une fois en poste, M. Hollande a plié rapidement, cédant  complètement aux demandes pour encore plus d’austérité.

Qu’il ne soit pas dit, cependant, qu’il est tout à fait sans ressort. Il a dernièrement pris des mesures décisives, mais, hélas, pas sur la politique économique, même si les conséquences désastreuses de l’austérité européenne sont de plus en plus évidentes au fil des mois, et même Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, appelle à un changement de capavec une nouvelle série de réductions de taux et la promesse, de plus d’assouplissement monétaire à venir. Non, toute la force de M. Hollande a été axée sur la purge des membres de son gouvernement qui osaient remettre en question sa soumission à Berlin et Bruxelles.

C’est un spectacle remarquable. Mais pour l’apprécier pleinement, il faut comprendre deux choses.

– Premièrement, l’Europe, dans son ensemble, est en grande difficulté. – Deuxièmement, dans ce schéma global de catastrophe, la performance de la France est bien meilleure que l’on ne peut le deviner au travers des bulletins de nouvelles. La France n’est pas la Grèce; elle n’est même pas l’Italie. Mais elle se laisse intimider comme si son cas était désespéré.

Au sujet de l’Europe:

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 Tout comme les États-Unis, la zone euro – les 18 pays d’Europe qui utilisent l’euro comme monnaie commune – a commencé à se remettre à la mi-2009, de la crise financière de 2008. Mais après qu’une crise de la dette ait éclaté en 2010, certains pays européens ont été contraints, comme une des conditions d’emprunt, de faire de difficiles réductions de dépenses et d’augmenter les impôts des familles des travailleurs. Pendant ce temps, l’Allemagne et d’autres pays créanciers n’ont rien fait pour compenser la pression à la baisse, et la Banque Centrale Européenne, contrairement à la Réserve Fédérale ou la Banque d’Angleterre, n’a pas pris de mesures extraordinaires pour stimuler les dépenses privées. En conséquence, la reprise européenne a calé en 2011, et n’a jamais vraiment repris.

L’Europe à ce stade, est en train de faire pire que ce qu’elle a fait à un stade comparable de la Grande Dépression. Et on peut s’attendre à d’autres mauvaises nouvelles, tandis que l’Europe montre tous les signes de tomber dans un piège déflationniste à la japonaise.

Comment la France s’inscrit-elle dans cette image?

Les rapports dans les medias dépeignent systématiquement l’économie française comme un gâchis dysfonctionnel, paralysé par des impôts élevés et la réglementation gouvernementale. Il est donc choquant d’analyser les chiffres réels, car ils ne correspondent pas du tout à ce scenario.
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La France ne s’est pas bien débrouillée depuis 2008 – elle a entre autre pris du retard sur Allemagne – mais la croissance de son PIB global a été bien meilleure que celle de la moyenne européenne, en surpassant non seulement les économies d’Europe du Sud en difficulté, mais aussi celles des pays créanciers tel que les Pays-Bas. Le rendement du travail français n’est pas si  mauvais. En fait, les adultes sont beaucoup plus susceptibles de trouver un emploi en France qu’aux Etats-Unis.

Et la situation de la France ne semble pas particulièrement fragile. Elle n’a pas un déficit commercial important, et elle peut emprunter à des taux d’intérêt historiquement bas.

Pourquoi, la France a-t-elle donc une si mauvaise presse?

Il est difficile d’échapper à la suspicion que la raison est politique: la France a un gouvernement particulièrement conséquent et un état providence généreux, qui selon l’idéologie du libre marché devrait conduire à la catastrophe économique. La catastrophe est donc ce qui est rapporté, même si ce n’est pas ce qu’indiquent les chiffres.

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 Et même si M. Hollande mène le parti socialiste de France, il semble croire en cette affreuse médisance idéologique. Pire encore, il est tombé dans ce cercle vicieux qui prétend que les politiques d’austérité provoquent le décrochage de la croissance et que ce retrait est considéré comme une preuve que la France a besoin d’encore plus d’austérité.

C’est une très triste histoire, et pas seulement pour la France.

Dans l’immédiat, l’économie de l’Europe est dans une terrible situation. Je crois que M. Draghi, comprend à quel point les choses vont mal. Mais ce que la banque centrale peut faire est limité, et de toute façon, sa marge de manœuvre est également limitée à moins que les leaders élus soient prêts à défier l’argent dur et l’orthodoxie de l’équilibre budgétaire. Entre temps, l’Allemagne demeure incorrigible. Sa réponse officielle au remaniement en France a été de déclarer « qu’il n’y a pas de contradiction entre la consolidation et la croissance” – hé, peu importe l’expérience des quatre dernières années, nous croyons toujours que l’austérité est expansionniste.

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L’Europe a donc désespérément besoin qu’un chef d’une grande économie – une économie qui ne serait pas en mauvais état –se lève et dise que l’austérité est en train de tuer les perspectives économiques du continent. M. Hollande aurait pu et aurait dû être ce leader, mais il ne l’est pas.

Et si l’économie européenne continue à stagner ou à s’aggraver, que deviendra le projet européen – l’effort à long terme pour assurer la paix et la démocratie par une prospérité partagée? En manquant à la France, M. Hollande manque également à l’ensemble de l’Europe- et nul ne sait jusqu’où cela risque d’aller.

 

Paul Krugman a rejoint le New York Times en 1999 en tant que chroniqueur sur la page  Op-Ed et continue en tant que professeur d’économie et d’affaires internationales à l’Université de Princeton.

En 2008, M. Krugman a reçu le prix Nobel d’économie.

Une version de cette op-ed apparaît dans le journal le 29 Août 2014,

 

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