La guerre à la Française

26 Février 2015,

Cela fait deux ans, mais toujours une bonne lecture.

Steven Erlanger

Chef du bureau de Paris du New York Times

PARIS 19 Janvier 2013         En 1966, le président français, Charles de Gaulle, était aux yeux des alliés un héros de guerre et une nuisance globale, a écrit le président Lyndon B. Johnson pour annoncer que la France se retirait de la pleine adhésion à l’OTAN et expulserait de France le siège de l’OTAN.

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“La France est déterminée à retrouver sur l’ensemble de son territoire le plein exercice de sa souveraineté, à l’heure actuelle diminuée par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation qui est faite de son espace aérien ; à cesser sa participation aux commandements intégrés ; et à ne plus placer ses forces à la disposition de l’OTAN “, a écrit de Gaulle.

Après l’humiliante capitulation devant les nazis, un choc énorme pour une France orgueilleuse et martiale, il n’était pas particulièrement surprenant que de Gaulle cherche à rendre à la France, à la table des nations, une place capable de défendre ses propres intérêts avec ses propres moyens à son propre rythme et complaisance.

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Même aujourd’hui, alors que les troupes françaises interviennent au Mali, les Français sont fiers de leur capacité militaire et de leur indépendance d’action. Les forces françaises marchent encore chaque année sur les Champs-Élysées le 14 juillet, une célébration militaire sans égale dans l’Ouest. La France possède des armes nucléaires et est le seul pays autre que les États-Unis, à posséder un porte-avions à propulsion nucléaire. Et même si Paris s’est lentement réconcilié à une pleine adhésion à l’OTAN, la France a maintenu sa capacité à envoyer rapidement des troupes et de l’équipement à diverses parties du globe. La France devrait bientôt dépasser une Grande-Bretagne frappée d’un esprit d’austérité en tant que quatrième parmi les pays ayant les dépenses les plus élevées du monde, après les Etats-Unis, la Chine et la Russie.

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Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique de l’ancien président Nicolas Sarkozy et l’ancien ambassadeur à la fois aux États-Unis et les Nations Unies, m’a affirmé : “Les Français, qui sont si sombres et pessimistes sur la situation dans leur pays et sur l’économie, ont au moins une raison d’être fiers de ce que leur pays peut accomplir », «Nous avons encore une politique étrangère, une capacité à agir au-delà de nos frontières, une capacité à faire une différence.”

La France ne peut tout faire par elle-même, reconnaît librement M. Levitte. “Mais si vous ne disposez pas des moyens militaires pour agir, vous n’avez pas de politique étrangère”.

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Les Français sont prêts à intervenir militairement, mais sur la base de nouvelles conditions, qui diffèrent, affirment les responsables français, des vieilles habitudes et traditions coloniales connues comme «FrançAfrique».

Au Mali, comme ils l’ont fait en 2011 en Libye et en Côte-d’Ivoire, les Français sont intervenus sur la base d’une demande directe d’aide à un gouvernement légitime, le soutien de groupements africains régionaux tel que l’Union Africaine et d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies.

4 Même au Mali, la France entend agir multilatéralement, même si elle se trouve en tête, comme elle l’a fait en Libye, au nom de la sauvegarde d’un allié et pour aider la région Sahel à lutter contre la propagation des islamistes radicaux, certains d’entre eux djihadistes étrangers, fortement liés à des groupes terroristes comme Al-Qaïda au Maghreb Islamique.

Jusqu’à présent, l’intervention décisive du président français, François Hollande, a été populaire. Un sondage publié mercredi par BVA pour Le Parisien a indiqué que 75 pour cent des Français ont appuyé la décision de M. Hollande de prendre en dépit des risques une action militaire rapide contre les rebelles islamistes au Mali, comparée à 66 pour cent d’appui pour l’intervention en Libye l’année dernière et 55 pour cent pour l’Afghanistan en 2001. Un sondage antérieur ce lundi pour l’IFOP indiquait que 63 pour cent des Français soutenaient la décision de M. Hollande.

Plus frappant, peut-être, est le consensus parmi l’élite politique qui a unanimement apporté son support, dit Bruno Tertrais, un analyste de la défense à la Fondation pour la Recherche Stratégique à Paris. « Le peuple français est prêt à soutenir une opération militaire dans la mesure où les objectifs sont clairs et semblent légitimes,” m’a-t-il dit. Tandis que l’arrêt de l’avance islamiste sur Bamako, la capitale du Mali, est un tel objectif, il a poursuivi, «s’il s’agissait d’une question d’une opération pour reconquérir le nord du Mali, la perception aurait été différente.”

Les Français ont une armée composée uniquement de volontaires, ce qui éloigne davantage la population du coût de la guerre et rend les soldats “moins visibles à la population en général », note Sébastien Jakubowski, sociologue à l’Université de Lille qui étudie l’armée. Cela rend également l’armée plus populaire, avec un taux d’approbation entre 80 et 90 pour cent, dit-il.

Mais dans un autre changement par rapport au passé, les Français s’attendent à ce que la décision d’utiliser l’armée soit basée sur des critères moraux clairs, dit M. Jakubowski. Et les Français prennent une certaine fierté à jouer un rôle de premier plan sur un fondement moral, même si les intérêts nationaux français sont également en jeu, poussant d’autres alliés à agir.

Jakubowski cite une interview dans Le Figaro du 3 janvier avec l’historien néoconservateur américain Robert Kagan, dont l’étude sur les attitudes américaines et européennes pour l’usage de la force, comparaît celle de l’Amérique à Mars et celle de l’Europe à Vénus, a été très parodiée, mais très influente.

Dans l’interview, et plus tard avec moi, M. Kagan a loué les Français pour leur volonté d’utiliser la force dans la poursuite d’objectifs légitimes, même s’ils ne disposent pas toujours de moyens suffisants pour les atteindre. “Personne ne demande à la France d’être au premier plan des interventions militaires, mais la volonté des Français de prendre l’initiative est positive”, at-il dit. « J’ai une nouvelle philosophie : Si les Français sont prêts à y aller, nous devrions y aller.”

Mais les Français comprennent aussi que leurs limites militaires sont réelles, et il est préférable qu’ils n’agissent pas seuls, même si ce n’est pas toujours avec Washington. Paris a été un constant aiguillon pour d’autres pays européens, et pour l’Union européenne elle-même, afin de développer de meilleures capacités militaires.

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“Nous pensons qu’il est absolument nécessaire que les autres pays européens fassent ce que nous faisons», a déclaré M. Levitte. “Sinon, il est évident qu’une sorte de pertinence stratégique de l’Europe dans son ensemble manquera. ” Il devrait être évident, dit-il, que les États-Unis ont d’autres priorités et se concentrent sur l’Asie, et il n’est pas nécessaire qu’ils agissent partout. “Donc, si nous sommes à la fois indépendants et fidèles alliés des États-Unis, nous devrions être en mesure d’agir quand il le faut.”

Steven Erlanger.

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