La malédiction des paiements en espèces.

Dans son livre, The Curse of Cash l’auteur Kenneth Rogoff explique ce que serait un monde sans billets de banque.

À chacun de mes voyages en France je me demande: quand la France va-t-elle enfin vraiment se mettre à l’usage des cartes de crédit ? On s’en sert bien ici et là, et même de plus en plus, mais pas partout. On n’achète pas une baguette à la boulangerie avec une carte de crédit. On ne paie pas un express au café avec sa carte de crédit. Et puis, là où on en accepte, toutes ne sont acceptées.

Je me suis tant habitué à la commodité de payer avec une carte de crédit aux États-Unis qu’à chaque fois que j’arrive en France, je suis surpris par la place que prennent pièces de monnaie et billets de banque dans tout achat, aussi petit soit-il et le temps que cela demande pour chaque transaction.

C’est à chaque fois l’occasion de trifouiller et farfouiller dans les porte-monnaie, les poches, les sacs et cela prend à mon avis beaucoup trop de temps.

  • Vous n’auriez pas 20 centimes ? demande la caissière.
  • Attendez, laissez-moi regarder. Ah non je ne le les ai pas, désolé.

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Mais je dois dire que les Français ne semblent pas s’en offusquer. Aux États-Unis, je peux avec une carte de crédit m’acheter un café, un pain, une glace, peu importe le prix. Et toutes les cartes sont valides.

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Dans son livre, The Curse of Cash, La Malédiction des Espèces, Kenneth Rogoff soutient que la race humaine se porterait mieux sans les billets de banque et les pièces de monnaie. Il est, à mon avis, sur la bonne piste !

curseComme le montre Rogoff, la monnaie de papier peut aussi paralyser la politique monétaire. À la suite de la récente crise financière, les banques centrales ont été incapables de stimuler la croissance et l’inflation en réduisant les taux d’intérêt nettement au-dessous de zéro, de peur que cela conduise les investisseurs à abandonner les bons du Trésor pour accumuler des espèces. Cette contrainte a paralysé la politique monétaire dans pratiquement toutes les économies avancées, et est susceptible d’être un problème récurrent à l’avenir.

The Curse of Cash propose un plan pour l’élimination graduelle de la plupart des monnaies de papier tout en laissant les billets et les pièces de faible valeur en circulation indéfiniment. Le livre aborde les questions que peut poser la période de transition, allant depuis les craintes au sujet de la vie privée et la stabilité des prix, jusqu’à la nécessité de subventionner la mise à la disposition des cartes de débit pour les pauvres.

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Bien que la suppression progressive de la majeure partie de la monnaie de papier ne puisse guère résoudre les problèmes du monde, ce serait une étape importante vers l’abandon d’un très grand nombre de problèmes. Provocant, engageant, et soutenu par des arguments originaux et convaincants ainsi que par des preuves, The Curse of Cash est certain de susciter un large débat.

Alors même que les gens dans les pays avancés utilisent moins de monnaie de papier, il y a plus d’argent en circulation. Il est d’un montant record de 1,4 billion en dollars américains soit $4,200 pour chaque Américain, et ce, principalement en billets de $100. Et les États-Unis ne sont pas vraiment exceptionnels. Quel est donc l’emploi de tout cet argent ? La réponse est simple : une grande partie alimente la fraude fiscale, la corruption, le terrorisme, le trafic de drogue, la traite des personnes, ainsi qu’une massive économie souterraine mondiale.

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Le monde est inondé par la monnaie de papier, dit Kenneth Rogoff. Les banques centrales des pays importants pompent des centaines de billions de dollars chaque année, principalement en grandes coupures telles que le billet de $100. Le billet de $100 représente près de 80% des $4 200 en espèces par habitant aux États-Unis. Le billet de ¥10 000, environ $100, représente environ 90% des avoirs en espèces du Japon soit près de $7 000 par habitant. Et, tel que Kenneth Rogoff l’a soutenu depuis 20 ans, toutes ces espèces facilitent principalement la croissance de l’économie souterraine et non pas l’économie légale.

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Kenneth Rogoff ne préconise pas une société sans argent liquide, qui ne serait ni possible ni souhaitable avant longtemps. Mais une société avec moins d’espèces serait plus juste et plus sûre.

Partout dans le monde, les dirigeants politiques toxiques et leurs dangereuses affaires politiques ont récemment subi d’importants revers. Ce changement dans la dynamique politique pourrait être soutenu.

Avec la croissance de l’emploi des cartes de débit, des transferts électroniques et des paiements mobiles, l’utilisation des espèces a depuis longtemps été en baisse dans l’économie légale, en particulier pour les transactions de taille moyenne et de grande taille. Les enquêtes de la banque centrale américaine montrent que seul un petit pourcentage des grosses coupures est détenu et utilisé par la moyenne des gens ou des entreprises.

L’argent comptant facilite le crime parce qu’il est anonyme, et les grands billets sont particulièrement problématiques parce qu’ils sont si faciles à transporter et à dissimuler. Un million de dollars en billets de $100 peuvent être cachés dans une mallette, un million de dollars en billets de €500 chacun, valant environ $565, peuvent être glissés dans un sac à main.

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Il y a bien sûr de nombreuses façons de corrompre les fonctionnaires, de se livrer à la criminalité financière, et d’échapper à l’impôt sans billets de banque. Mais la plupart de ces moyens impliquent des coûts de transactions très élevées, par exemple, des diamants bruts, ou risquent d’être détectés, par exemple, les virements bancaires ou les paiements par carte de crédit.

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Bien sûr, les cryptomonnaies du monde moderne telles que les Bitcoins, sans être complètement invulnérables à la détection, le sont presque. Mais leur valeur fluctue fortement, et les gouvernements ont de nombreux outils avec lesquels restreindre leur emploi, en les empêchant par exemple, d’être déposés dans les banques ou les magasins de détail. Les billets de banque sont uniques par leur liquidité et leur acceptation quasi universelle.

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Le seul coût de l’évasion fiscale est énorme, peut-être de $700 milliards par an aux États-Unis, comprenant les taxes fédérales, d’État, et les taxes locales. Le coût est encore plus grand en Europe où la fiscalité est élevée. La criminalité et la corruption, bien que difficile à quantifier, génèrent sûrement des coûts encore plus importants. Pensez non seulement à la drogue illicite et le racket, mais aussi à la traite d’êtres humains, le terrorisme et l’extorsion.

De plus, les espèces que les employeurs paient à des travailleurs sans-papiers sont le principal moteur de l’immigration clandestine. Abaisser l’emploi des espèces serait une façon beaucoup plus humaine pour limiter l’immigration que l’est la construction de clôtures de fils barbelés.

Si les gouvernements n’étaient pas tant intéressés par les profits qu’ils réalisent en imprimant du papier-monnaie, ils réaliseraient le coût de l’impression. On a dernièrement constaté un petit mouvement dans ce sens. La Banque centrale européenne a récemment annoncé qu’elle retirerait progressivement son billet de €500. Pourtant, ce changement bien que tard, a été mis en place en dépit d’une énorme résistance des pays fervents des espèces tels que l’Allemagne et l’Autriche. Cependant, même en Europe du Nord, les possessions de monnaie par habitant sont encore assez modérées en comparaison a l’offre exceptionnelle massive dans la zone euro dans son ensemble : plus de €3 000 par habitant.

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Les gouvernements d’Europe du Sud, cherchant désespérément à augmenter leurs recettes fiscales, ont pris les choses en mains, même si elles ne contrôlent pas l’émission des billets. La Grèce et l’Italie par exemple, ont tenté de décourager l’emploi des espèces en plafonnement les achats de détail au comptant à €1 500 et €1 000 respectivement.

De toute évidence, les espèces demeurent importantes pour les petites transactions quotidiennes, et pour la protection de la vie privée.

Les banquiers centraux européens du Nord qui favorisent le statu quo aiment citer le romancier russe Fiodor Dostoïevski: “. L’argent a inventé la liberté “. Bien sûr, Dostoïevsky faisait référence à la vie à l’époque des prisons tsaristes du milieu du XIXe siècle, et non pas à un État libéral moderne. Pourtant, l’argument des Européens du Nord est valide.

Dans son nouveau livre, The Curse of Cash, Kenneth Rogoff offre un plan qui implique très progressivement l’élimination des grands billets, tout en laissant indéfiniment en circulation les petits billets de $10 ou moins. Le plan prévoit cette inclusion financière en offrant aux ménages à faible revenu des comptes de débit gratuits, qui pourraient également être utilisés pour effectuer des paiements de transfert gouvernementaux. Cette dernière étape est celle que certains pays, comme le Danemark et la Suède, ont déjà prise.

La question est de savoir si le système actuel est en équilibre. Kenneth Rogoff pense qu’il ne l’est clairement pas.

Le plan qu’il préconise pour contenir les espèces doit être guidé par trois principes.

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Tout d’abord, il est important de permettre aux citoyens ordinaires de continuer à utiliser les espèces pour plus de commodité et pour faire des achats anonymes de taille raisonnable, tout en sapant les modèles d’affaires de ceux qui sont engagés dans de grandes transactions en gros anonymes et répétées.

Deuxièmement, tout plan doit se déplacer très lentement, sur dix ou vingt ans afin de permettre des adaptations et des corrections à mi-parcours des problèmes inattendus qui surgiraient.

Et, troisièmement, les réformes doivent être sensibles aux besoins des ménages à faible revenu, en particulier ceux qui n’ont pas de compte bancaire.

Réduire l’ampleur des monnaies de papier ne serait pas la fin de la criminalité et de l’évasion fiscale ; mais ce serait forcer l’économie souterraine à utiliser des dispositifs de paiement plus risqués et moins liquides. Les espèces peuvent paraître sans grande importance dans le monde des hautes technologies financières d’aujourd’hui, mais les avantages de l’élimination progressive de la monnaie de papier est beaucoup plus importante que l’on peut se l’imaginer.z

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5 septembre 2016

© Copyright, Princeton University

Kenneth S. Rogoff est professeur au titre de Thomas D. Cabot de politique publique à l’Université de Harvard et ancien économiste en chef du Fonds monétaire international. Il est également le coauteur du best-seller du New York Times This Time Is Different: Eight Centuries of Financial Folly. L’époque est différente, huit siècles de folie financière (Princeton).

Rogoff Il apparaît fréquemment dans les médias nationaux et écrit une colonne de journal mensuel qui est syndiqué dans plus de cinquante pays. Il vit à Cambridge, Massachusetts.

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