Le Bilinguisme et le cerveau: Comment le langage façonne-t-il notre capacité à traiter l’information

Nouvelles de la science

24 août 2015

Par Yamini Chinnuswamy

Singapore Management University

Les avantages du multilinguisme n’ont plus à être établis. Il ne suffit pas de comprendre et d’écrire une langue, il faut aussi la parler. Outre la possibilité de communiquer avec ceux qui ne parlent pas notre langue maternelle, la connaissance de langues étrangères permet d’enrichir son savoir au contact d’autres cultures.

Il y a dans le monde 50 pays où l’anglais est langue officielle ou langue principale.

Il y a 29 nations indépendantes où le français est la langue officielle et 16 autres pays où le français est l’une de deux ou plusieurs langues officielles.

 

Dans un monde de plus en plus globalisé, il y a de nombreux avantages pratiques à parler deux langues plutôt qu’une. Même aux États-Unis, qui sont largement monolingues, on considère que plus de 20 pour cent de la population parle une deuxième langue.

2
Cependant, les premières recherches sur le bilinguisme, menées avant les années 1960, connectaient le bilinguisme à des scores de quotient intellectuel inférieurs, à des déficiences cognitives et même à un retard mental. Ces études montraient que les enfants monolingues avaient jusqu’à trois ans d’avance sur les enfants bilingues pour ce qui est de l’intelligence verbale et non verbale. Ces études ont mené le grand public à percevoir le bilinguisme comme un « handicape linguistique ».

“En parlant avec mes propres étudiants de leurs expériences d’enfance, j’ai découvert que beaucoup d’entre eux ont été découragés de parler deux langues en grandissant, décision fondée sur la perception erronée que cela retarderait leur développement”, explique le professeur adjoint Yang Hwajin, spécialiste de la psychologie du développement à l’école des sciences sociales : Singapore Management University (SMU).

1

Ces études de langues ont depuis été largement discréditées, et les linguistes ne croient plus que le bilinguisme mène à des déficiences cognitives. “Ce que nous avons constaté au cours des trois dernières décennies est que le bilinguisme a un impact important sur les fonctions cognitives – la façon dont nous pensons, prenons des décisions, percevons les choses, et ainsi de suite».

En fait, le multilinguisme peut être bénéfique à l’entraînement cognitif, explique le professeur Yang. “Par exemple, dit-elle, je parle le coréen et l’anglais. Quand je parle anglais, je dois désamorcer mes pensées sur la grammaire coréenne, et me concentrer sur la grammaire anglaise, puisque les deux langues ne partagent pas une même structure grammaticale. Parler ces deux langues m’a aidé à inhiber toutes distractions et à mieux me concentrer. ”

00Les recherches du professeur Yang dans le bilinguisme ont découlé naturellement de son intérêt pour les facteurs qui influencent les fonctions exécutives du cerveau qui dirigent les processus qui nous permettent de résoudre des mots croisés, déconstruire le dernier épisode de Game of Thrones, ou de nous souvenir de ce que nous avons eu pour dîner la semaine dernière. Il a été prouvé qu’être bilingue améliore la fonction exécutive du cerveau, et retarde même l’apparition de la démence ou de la maladie d’Alzheimer.

«Je me suis donc intéressée à l’étude des facteurs qui influent sur ce contrôle exécutif, car ils peuvent à leur tour façonner notre performance dans le travail, à l’école, et dans d’autres parties de notre vie. Après tout»,  dit-elle, les fonctions cognitives les plus critiques affectent nos vies dans divers domaines, indépendamment de l’âge, “.

La puissance du langage

Professeure Yang est particulièrement impressionnée par l’étendue du bilinguisme à Singapour, qui contraste avec son pays natal de Corée du Sud, où la majeure partie de la population est monolingue. Parler deux langues en Corée est principalement limité à ceux qui ont un statut socio-économique élevé. “À Singapour, les chauffeurs de taxi parlent souvent plusieurs langues, l’anglais, le mandarin, et un ou plusieurs dialectes chinois,” dit-elle.

11

À cet effet, Singapour a démontré être pour le professeur Yang un terrain fertile où étudier la relation entre le plurilinguisme et la compréhension, même si elle a dû faire face à de multiples défis dans la collecte de données.

« J’étudie les enfants bilingues, et parfois même des enfants élevés avec des antécédents bilingues. Les parents étant des gens occupés, nous demandons leur consentement avant de visiter les maternelles et de mêler leurs enfants à notre recherche. Mais les parents et les enseignants sont souvent réticents, car il y a une tendance à ne pas croire l’impact potentiel de ces recherches », fait-elle remarquer.

33

Les travaux du professeur Yang avec des enfants ont pourtant déjà obtenu des résultats. Une étude a démontré l’impact d’avoir été élevé dans un foyer bilingue plutôt que monolingue pour les enfants dont le statut économique est bas. « Les enfants au faible statut socio-économique ont généralement une fonction cognitive plus faible que ceux dont le statut socio-économique est élevé. Cela peut être parce que les deux parents doivent travailler et gagner de l’argent, les laissant seuls à la maison et sans stimulation intellectuelle », explique-t-elle.

Le bilinguisme semble être, dans cette situation, une forme d’intervention pour promouvoir la fonction exécutive. Le professeur Yang a découvert que les enfants à faible statut socio-économique qui parlaient deux langues obtenaient de bien meilleurs résultats dans les tests de comportement que leurs homologues monolingues. Fait intéressant, elle a découvert des observations semblables dans une autre étude impliquant des nourrissons plutôt que des enfants, de faible statut socio-économique.

9

« Les nourrissons ne pouvons verbaliser ou s’exprimer, nous définissons les nourrissons bilingues par le nombre de langues auxquelles ils sont exposés. Par exemple, un enfant exposé à l’anglais 60 pour cent du temps, et le mandarin 40 pour cent du temps seraient ,dit-elle, considérés bilingues. “.

“Nous avons été surpris de constater que même les bébés bilingues issus de statuts socio-économiques faibles ont démontré un plus grand développement cognitif que les enfants monolingues du même statut. L’implication est que le bilinguisme peut aider le développement des enfants dans les milieux défavorisés.”

Stimuler la puissance du cerveau avec le bilinguisme

D’autres études ont montré que le bilinguisme peut, dans un environnement clinique, être utilisé pour aider les enfants atteints d’un trouble de l’attention déficitaire et d’hyperactivité, ou dans le cas de patients dont la fonction cognitive est réduite. La professeure Yang espère également démontrer ces mêmes avantages pour les personnes qui ne font pas preuve de déficience cognitive.

99

Un autre domaine que le professeur Yang aimerait explorer est la biologie sous-jacente dans l’acquisition du deuxième langage. Plus précisément, les locuteurs bilingues présentent-ils des modèles différents d’anatomie du cerveau et de physiologie ?

. ” Nous avons jusqu’à présent, mis l’accent sur des données du comportement, telles que le rendement au travail et l’aptitude. Nous n’avons pas encore abordé le système nerveux : le cerveau, particulièrement dans le contexte de l’Asie. Il serait intéressant, songe-t-elle, d’examiner quels changements le bilinguisme a apportés à mon cerveau au cours des 20 dernières années, et si cela peut à son tour être associé à mon comportement ».

0

L’article ci-dessus est reproduit à partir information fournie par l’Université de Gestion de Singapour. L’article original a été écrit par Yamini Chinnuswamy.

ScienceDaily, le 24 août à 2015.

You may also like...

Leave a Reply