Le dîner du chien

Carte postale de Paris

The New Yorker

Numéro des 8 et 15 février 2016

PAR LAUREN COLLINS

 

 

 

 

J’ai déjà rapporté deux fois sur ce sujet dans la rubrique LA BOUFFE :

 Le 18 nov., 2014 sous le titre :  

Balayez ce préjugé français qui veut que les Doggie Bag soient pour les mendiants

 ainsi que dans :

 Le 14 août 2014 sous le titre :

Les Coutumes au Restaurant Américain,

Mais le propos revient depuis l’annonce de la proposition d’une nouvelle loi sur le gaspillage alimentaire.

C’est une bonne chose et peut-être les Américains en viendront-ils aussi à recycler les abus de perte de nourriture.

 

 

La dernière étape dans le déclin de la civilisation française a commencé à l’été 2009 dans un restaurant thaïlandais à Los Angeles. Arash Derambarsh, un éditeur de livres et étudiant en criminologie à Paris, rendait visite à son frère jumeau, Sia, qui était en Californie travaillant sur la production cinématographique. Derambarsh commanda un poulet au curry. Il fut servi dans un bol assez grand pour y mélanger les ingrédients d’un gâteau. “Après ce long vol, je ne pouvais pas manger tout cela”, a rappelé Derambarsh “, mon frère m’a donc demandé :« Veux-tu un doggy bag ? Je pensais qu’il parlait d’un mouchard [Reservoir Dog en anglais]. Mon frère me répondit : «Non, Arash, ici aux États-Unis, quand quelqu’un ne peut pas terminer son plat, il l’emmène à la maison dans un sac en papier, un  doggy bag, et il le finit à deux heures du matin.”

 Derambarsh était attablé dans un café du septième arrondissement de Paris, un steak-frites devant lui. En 2014, il a ajouté le poste de politicien local à son portfolio professionnel, remportant un siège au conseil de la ville de Courbevoie. (En 2008, dans ce que TechCrunch* a appelé « probablement le plus grand canular de l’histoire de Facebook,” il a réussi à convaincre une grande partie des médias français qu’il avait été élu président de Facebook, mais ce fut vraiment le cas.)

33

Sa préoccupation est le gaspillage alimentaire. Le journal Le Monde l’a récemment appelé un «hyper activiste » de la cause. Deux semaines plus tôt, une loi pour laquelle il avait sans relâche fait pression, sollicitant les législateurs, est entré en vigueur, enjoignant les restaurants français qui produisent plus de dix tonnes de déchets alimentaires par an à recycler leurs déchets. L’année dernière, Derambarsh promut avec succès une mesure obligeant les supermarchés à donner la nourriture invendue à des charités.

55La récente législation a simplement suggéré que les restaurateurs offrent à leurs clients des contenants dans lesquels emporter ce qu’ils ne mangent pas sur place, mais la rumeur avait circulé, devenant instantanément une légende urbaine affirmant que les doggy bags à l’américaine étaient désormais obligatoires en France.

 “La traduction littérale est sac pour chien,” a expliqué Sud-Ouest [ quotidien régional Français] dans un tutoriel. “C’est un sac dans lequel le client d’un restaurant enveloppe la nourriture qu’il n’a pas terminée, afin de la servir à son chien une fois rentré chez lui. Cette pratique est bien connue dans les pays anglo-saxons et asiatiques, mais encore à l’état embryonnaire en France. Bien sûr, si vous ne possédez pas un chien, vous pouvez également consommer les restes de votre dernier repas vous-même. “À en juger par la section des commentaires, les convives ne sont pas entièrement conquis. « Cela me serait impossible de le faire, j’aurais trop honte », a écrit un commentateur. Un autre a déclaré : «  Le« sac de clébards »dans lequel vous mélangez entrée, plat et dessert ? Si je le lui donne, mon chien va me mordre ! “

 8 7 4 3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Derambarsh a reconnu que, parmi ses compatriotes, le doggy bag [ l’emporte-restes] souffre de stigmatisation : « Les gens pensent que cela signifie que vous avez faim ou que vous êtes pauvre. »

Le propriétaire du café, ventre rond, bretelles, lunettes attachées par un cordon se glissa à la table. Il connaissait bien Derambarsh, un habitué. Il avait entendu un aperçu de la conversation.

« Entre nous, » il chuchota, « cette loi n’existe pas. »

Un Américain qui aime toutes les formes de contenants à emporter boîte à pizza, seaux à huîtres, feuilles d’aluminium en forme de cygnes lui a demandé combien de doggy bags il avait distribués.

1

2

“Un, depuis le début de l’année,” a-t-il répondu. “Sans aucun doute, des étrangers.” Il fit une pause pour le punch line. “Et c’était de la salade qu’ils ont emportée. Fuck, de la salade ! ”

 

Derambarsh ne put s’empêcher d’étendre le débat à la table voisine, où une femme distinguée mangeait seule (une salade). .

“Que pensez-vous ?» A-t-il demandé ?

“J’adore les États-Unis et j’adore les doggy bags,” répondit-elle.

Il s’est avéré, qu’elle est professeure d’anglais, et qu’elle avait vu son premier doggy bag, des côtes grillées [barbecued ribs] sur une jetée de San Francisco vers 1979. « Ça n’existait pas chez nous, » se souvient-elle. « Les Américains sont pragmatiques, mais les Français sont très conservateurs. »

En plus d’être ringard, le doggy bag, soutiennent ses adversaires, dévalorise le travail du chef. Une personne qui met ses restes dans une voiture trop chauffée peut souffrir une intoxication alimentaire. Considérez les steaks tartares, fruits de mer, mousses au chocolat, plats avec de la mayonnaise ! Les restaurateurs pourraient être poursuivis. Pour lutter contre ces inquiétudes, le ministère de l’Agriculture a mis au point un changement de nom : “. Une nouvelle appellation, plus prestigieuse et gourmande « le sac de gourmets. »

 11

“Le doggy bag ne va pas changer le monde, mais la loi sur les supermarchés le fera », a affirmé Derambarsh. Il a ajouté qu’il aimerait voir Barack Obama passer la même loi aux États-Unis

Derambarsh commanda un expresso. Il n’a pas demandé un doggy bag. Son entrecôte était du passé. Pas plus que l’Américaine, qui avait nettoyé son assiette jusqu’à la dernière miette. ♦

Le Monde

« Je ne cherche pas la personnalisation, a dit Arash Derambarsh dans le Monde Je fais ça pour ceux qui ont faim. » À seulement 35 ans, les yeux emplis de certitude, les traits tirés par des nuits trop courtes, Arash Derambarsh fait preuve d’un sens aigu de la communication au service de sa cause : la fin du gaspillage alimentaire. Et pour lui, la faim justifie les moyens. Alors qu’un amendement allant dans ce sens a été déposé par la sénatrice Nathalie Goulet dans le cadre du projet de loi Macron qui sera discuté jeudi 7 avril, sa constante présence médiatique fait grincer quelques dents, notamment dans les associations anti-gaspillage qui ne partagent ni ses méthodes ni les solutions qu’il propose.

Le conseiller municipal de Courbevoie (Hauts-de-Seine) espère être reçu à l’Élysée afin, dit-il, de « convaincre » le président de la République, François Hollande, de la nécessité de légiférer sur la question. Il souhaite instaurer un droit opposable qui permettrait à tout citoyen de créer une association pour ensuite s’adresser au supermarché de son choix, afin que celui-ci lui remette les invendus pour une distribution le soir même.

*          Fondée en juin 2005, TechCrunch est une importante organisation d’information de technologie dont le réseau de sites Web atteint maintenant plus de 12 millions de visiteurs et attire plus de 37 millions de pages vues par mois.

44

En décembre 2014, Arash Derambarsh et ses amis ont récupéré les invendus de la journée dans un supermarché de sa ville, avec l’aide de bénévoles, afin de les redistribuer aux plus démunis. Ils ont répété l’opération trois fois par semaine pendant deux mois. « Chaque soir, on distribuait l’équivalent de 500 euros de nourriture, mais c’est illégal, d’où l’idée de proposer une loi », poursuit l’élu.

 

You may also like...

Leave a Reply