Le jour où j’ai découvert les dossiers fiscaux de Donald Trump dans ma boîte à lettres
Par SUSANNE CRAIG
2 OCT. 2016
Le New York Times.
Dans cet article, Susanne Craig, une journaliste du New York Times Metro qui couvre le gouvernement et la politique, révèle un des avantages moins connus du courrier postal.
Mes collègues se moquent de mon attachement à l’ancienne pour ma boîte aux lettres.
Elle est à environ dix mètres de mon bureau – parmi les boîtes aux lettres des autres employés du troisième étage – et je l’observe régulièrement, espérant toujours qu’un informateur m’aura envoyé quelque lettre révélatrice ou un document secret.
Au service métro, nous recevons beaucoup de courrier indésirable et sommes entre autres régulièrement inondés par la correspondance des prisonniers dans les pénitenciers de New York.
La section Time Insider {les initiés du Time} offre une vue depuis les coulisses pour mieux comprendre comment les nouvelles quotidiennes, les articles et les éditoriaux prennent vie au New York Times. Rendez-nous visite à Times Insider et suivez-nous sur Twitter. Questions ou commentaires ? Envoyez-nous un email.
Mais le vendredi 23 septembre, fut différent.
Je suis passée à ma boîte aux lettres et j’ai repéré une enveloppe de papier Kraft avec un cachet de la poste de New York, et pour adresse de retour The Trump Organization. Mon cœur a fait un saut.
Je suis à la chasse des déclarations de revenus de Donald J. Trump. M. Trump, le candidat républicain à la présidentielle, a rompu avec la tradition depuis plusieurs dizaines d’années en refusant de rendre publiques ses déclarations. J’ai beaucoup écrit sur ses finances, mais comme presque tous les autres journalistes, j’attendais avec impatience de voir ses actuelles déclarations.
L’enveloppe semblait licite. Je l’ai ouverte anxieusement et j’ai été surprise.
À l’intérieur se trouvait ce qui semblait être des pages des dossiers fiscaux de M. Trump pour 1995, avec des chiffres détaillés qui révélaient ses stratégies fiscales. Presque immédiatement, je me suis dirigée vers le bureau de David Barstow – un journaliste inquisiteur, trois fois lauréat du prix Pulitzer et mon coéquipier dans la quête des déclarations de revenus de M. Trump.
Le Times découvrit que Trump pourrait avoir évité de payer des taxes pendant 18 ans,
Les formulaires de taxe de Donald J. Trump pour 1995 révèlent des avantages fiscaux extraordinaires qui découlent de ses épaves financières du début des années 1990.
Mon coéquipier était au téléphone. J’agitais les documents fiscaux devant son visage. Il mit abruptement fin à son appel.
Nous avons vidé la salle de conférence de l’équipe d’enquêtes et, avec nos collègues Megan Twohey et Russ Buettner, nous avons élaboré un plan de bataille.
Nous avons minutieusement examiné les documents, l’enveloppe, le cachet de la poste, la date de l’envoi la poste, tout. Nous avons même vérifié toutes les autres boîtes aux lettres du troisième étage, et il y en a des centaines, au cas où l’informateur aurait envoyé des documents supplémentaires à un autre reporter.
Nous avons ensuite établi la liste de ceux qui pourraient confirmer l’authenticité des dossiers fiscaux. La liste est courte.
Puis, nous avons décidé de faire l’état des finances de M. Trump pour la période en question, afin de voir si nous serions à même de défendre ce que les documents démontraient, c’est-à-dire qu’il avait subi une énorme perte en 1995 qui lui aurait permis d’éviter de payer l’impôt fédéral sur le revenu pour près de vingt ans.
Nous demeurions sceptiques tout en examinant les dossiers, bien que la plupart des renseignements paraissaient exacts. Ils ont été signés par l’épouse de M. Trump à l’époque, Marla Maples, et ils portaient la signature irrégulière et reconnaissable, en énormes caractères de M. Trump. D’autres détails correspondaient également.
Mais, bien sûr, il nous fallait beaucoup plus avant de pouvoir publier un article.
Nous avons d’abord été surpris par une anomalie dans les dossiers remarqués par Megan: sur la ligne sur laquelle M. Trump avait rapporté son énorme perte de $915.729.293, les deux premiers chiffres n’étaient pas alignés correctement avec les sept chiffres suivants. Le document pouvait-il avoir été falsifié ?
Nous avons engagé des experts fiscaux pour nous guider dans le calcul. Nous avons étudié le code fiscal de 1995. Nous avons questionné tous ceux qui auraient vu les dossiers de M. Trump pendant cette période.
Mais la solution fut dévoilée quand David a a traqué Jack Mitnick en Floride, le comptable en demi retraite qui avait préparé et signé les déclarations de revenus de M. Trump.
Mitnick a d’abord été réticent, mais il a finalement accepté de rencontrer David dans un fast food à bagel.
Dans une conversation à cet endroit, M. Mitnick a non seulement admis que les documents paraissaient authentiques, mais il a également résolu le mystère des chiffres mal alignés. Il s’est avéré que le logiciel de préparation d’impôt qu’il avait utilisé ne lui permettait pas d’inscrire une perte allant jusqu’à neuf chiffres. Il s’est alors souvenu qu’il avait dû inscrire manuellement les deux premiers chiffres, en utilisant une machine à écrire IBM Selectric.
Nous avons fait des rapports supplémentaires qui ont élargi notre vision des finances de M. Trump de l’époque. Le samedi suivant soit huit jours après avoir ouvert l’enveloppe, nous étions prêts à approcher la campagne Trump avec nos conclusions. M. Trump, par sa porte-parole, n’a ni contesté ni confirmé les dossiers fiscaux, mais il nous a menacés d’une action en justice si nous devions les publier.
Mais nous étions sûrs que notre rapport était adéquat. Vers 09h10 ce samedi soir, nous étions tous dans la salle de presse et notre article a été publié sur nytimes.com. Cela a instantanément attiré un flot de lecteurs. Les lecteurs étaient fascinés non seulement par l’histoire, mais aussi par la façon dont nous l’avions obtenue. Pourquoi l’informateur m’at-il envoyé les documents plutôt qu’à un autre ? Probablement parce que j’ai écrit un examen exhaustif des $650 millions de la dette de M. Trump en août dernier et qu’il a attiré des millions de lecteurs.
L’expérience m’a laissée désireuse de partager un conseil avec mes collègues
journalistes : vérifiez vos boîtes aux lettres. Surtout de nos jours, quand les gens sont inquiets du fait que tout envoie par e-mail peut laisser des empreintes, tandis que “snail mail” {courrier postal escargot} est un excellent moyen de communiquer avec nous de façon anonyme.
Et une note aux informateurs au large : Si vous voulez m’envoyer quoi que ce soit, sur n’importe quel sujet, ma boîte aux lettres est ouverte. L’adresse est 620 Eighth Avenue, Third Floor, New York, NY 10018. Vous pouvez être sûr que je vais vérifier.