Le prix pour jongler avec plusieurs tâches à la fois est exorbitant

mais nous le faisons tous.

La question est comment.

Par Daniel T. Willingham

14 juillet 2019

Non seulement les smartphones offrent un accès sans précédent à l’information, ils offrent également des opportunités sans précédent pour effectuer plusieurs tâches à la fois : le multitâche. Toute activité peut être accompagnée de musique, de selfies ou de mises à jour sur les réseaux sociaux. Bien sûr, certaines personnes choisissent des moments difficiles pour tweeter ou envoyer un texto, et les législateurs sont intervenus. Quarante-huit États américains ont interdit les textos au volant. À Honolulu, il est illégal de texter ou même de regarder son téléphone en traversant la rue. Aux Pays-Bas, il est interdit de texter en vélo.

Mais la législation ne proscrira pas toutes les situations dans lesquelles le multitâche n’est pas raisonnable ; c’est à vous de vous régulariser. Comprendre comment le cerveau jongle avec diverses tâches, à la fois et pourquoi nous trouvons cela si attrayant vous aidera à évaluer le risque de sortir votre téléphone.

L’exécution simultanée de plusieurs tâches donne l’impression de faire deux choses simultanément. Il semble donc que le danger réside dans le fait de demander à un processus mental de faire deux choses incompatibles – envoyer des SMS et regarder l’écran et la route. Beaucoup de législateurs doivent penser de la sorte, car 20 États ont interdit la conduite avec un téléphone portable tout en permettant les appels mains libres. Pourtant, les mains libres ou le téléphone en main ne font aucune différence – ils gênent la conduite de manière équivalente en ce qui concerne les risques extérieurs.

 

Pourquoi ?

 

En fait, vous ne manipulez votre téléphone que brièvement pour un appel vocal. Le vrai problème est le basculement de l’attention entre la conversation et la route. Même de simples tâches ne peuvent être effectuées simultanément ; vous basculez entre elles, ce qui affecte les performances.

Dans une classique expérience, les sujets regardent une combinaison de chiffre-lettre: par exemple, «C7». Un signal enjoint les participants concernés à classer la lettre comme voyelle ou non-voyelle et le chiffre comme pair ou impair. Après chaque réponse, un nouveau stimulus et un nouveau signal apparaissent. Lorsque la tâche de classification change, environ 20% des gens répondent plus lentement que lorsque la tâche est simplement répétée, car changer de tâche nécessite des étapes supplémentaires, c’est à dire : réinitialiser votre objectif (“ignorer le chiffre, tenir compte de la lettre”) et recharger la règle mentale (“jugez la lettre comme voyelle ou consonne”). La valeur du remaniement des objectifs et des règles mentales est inoffensive s’il y a un temps mort prévisible pendant l’une ou pendant les deux tâches. Lorsqu’au cours d’une conférence téléphonique la conversation tourne à un ordre du jour qui ne vous concerne pas, vous pouvez répondre à un e-mail.

Ce qui rend le multitâche en conduisant si dangereux est le fait que la conduite requiert toute l’attention à des moments imprévisibles. Les conducteurs en sont conscients et lorsqu’ils sont au téléphone, ils conduisent plus lentement et augmentent la distance qui les sépare des autres voitures, mais ils sont beaucoup trop confiants pour que ces mesures réduisent les risques. 59% des adultes, jeunes ou âgés, reconnaissent utiliser leur téléphone au volant. Cet excès de confiance s’étend à d’autres activités. Une enquête menée en 2015 a démontré qu’une majorité d’élèves qui utilisent les médias sociaux, les textos ou la télévision tout en étudiant pensent qu’ils peuvent encore comprendre la matière qu’ils étudient. Cette confiance est particulièrement compréhensible pour des tâches très simples. Tout le monde sait qu’il est dangereux de texter au volant, mais écouter de la musique ou bavarder avec un passager semble tellement peu exigeant qu’il est anodin. Pourtant, les deux compromettent de manière mesurable la conduite. Si cela vous surprend, observez quand vous avez éteint la radio ou poussé un passager à se taire lorsque la route est verglacée ou lorsque vous cherchiez une adresse.

Même la marche, qui ressemble à quelque chose que nous faisons en pilote automatique, n’est pas à l’abri. Des expériences dans des environnements virtuels montrent que les piétons sont plus susceptibles d’être heurtés par un véhicule lorsqu’ils traversent la rue s’ils écoutent de la musique.
Mais les gens ne jonglent pas avec plusieurs tâches uniquement parce qu’ils n’y voient aucun inconvénient ; ils y perçoivent des avantages. Ils disent qu’ils jonglent pour l’efficacité qui en résulte, pour lutter contre l’ennui ou pour suivre les médias sociaux. La musique, qui est probablement la variété des multitâches la plus répandue, est ajoutée aux tâches, car elle augmente l’exaltation (votre fréquence cardiaque augmente par exemple,), facilitant ainsi le suivi d’une longue route ou d’un manuel fastidieux. La musique était autrefois courante sur les chaînes de montage des usines ; la British Broadcasting Corporation a établi à cette fin un programme radiophonique intitulé “Music While You Work,”  «Musique au travail » de 1940 à 1967.

Ainsi, même si vous en appréciez pleinement le coût cognitif, vous le tolérez en échange de l’ascenseur émotionnel que cela produit. Les parents désapprouvent lorsque leur enfant étudie avec Deadmau5, car ils comparent cela à des études silencieuses. Mais l’enfant calcule que sans la musique, il n’étudierait pas. Ce compromis entre cognition et émotion suggère quelques principes pour mieux gérer votre multitâche.

Premièrement, espérer gagner en efficacité en combinant deux tâches de productivité pure – par exemple, composer une lettre tout en suivant une présentation – est une folie. Vous payez le coût cognitif entier sans recevoir aucun avantage émotionnel.

Deuxièmement, soyez réaliste quant à ce que de mauvaises performances (conduite, par exemple, ou utilisation de machines) peuvent signifier, étant donné que vous n’êtes pas aussi doué en multitâche que vous ne le pensez. Si vous n’êtes pas prêt à éliminer les tâches secondaires, soyez au moins prêt à les laisser tomber sur le moment. Je ne m’attends pas à ce que la musique disparaisse des voitures, mais pensez à couper le son si la circulation devient dense ou si les conditions de la route se détériorent.

Troisièmement, voyez si vous pouvez obtenir l’ascenseur émotionnel sans le coût cognitif. Au lieu de faire plusieurs tâches à la fois, prenez de fréquentes pauses et récupérez vos problèmes de médias sociaux pendant ces pauses.

Les gens choisiront le multitâche. Mais nous devrions être au moins pleinement conscients de la façon dont ce choix nous affecte et des conséquences potentielles pour nous-mêmes et pour les autres. Nous devons faire attention à l’ampleur de notre attention.

Daniel T.Willingham est psychologue à l’Université de Virginie.

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