Les nombreuses catastrophes économiques de l’Europe
Pages d’opinions
Paul Krugman 3 juillet 2015
Que ce soit oui ou que ce soit non, la Grece souffrira.
Il est déprimant de penser à la Grèce ces jours-ci, parlons donc d’autre chose, OK ?
Parlons, pour commencer de la Finlande, qui ne pourrait être plus différente de ce pays corrompu, et irresponsable plus au sud. La Finlande est un citoyen modèle européen; elle a un gouvernement honnête, des finances saines et une solide notation de crédit, ce qui la laisse emprunter de l’argent à des taux d’intérêt incroyablement bas.
Elle est également dans sa huitième année d’une récession qui a réduit le produit intérieur brut réel par habitant de 10 pour cent et ne montre aucun signe d’en finir. En fait, s’il n’y avait pas le cauchemar au sud de l’Europe, les problèmes auxquels est confrontée l’économie finlandaise pourraient bien être considérés comme un désastre notable.
Et la Finlande n’est pas la seule. Elle fait partie d’un arc de déclin économique qui se poursuit à travers l’Europe du Nord en passant par le Danemark, qui n’est pas à l’euro, mais gère son argent comme s’il y était, jusqu’aux Pays-Bas. Tous ces pays sont, par ailleurs, dans une situation bien pire que la France, dont l’économie reçoit une terrible presse de la part de journalistes qui détestent son solide filet de sécurité sociale, bien qu’elle ait mieux résisté que presque chaque autre nation européenne, à part l’Allemagne.
zEt que dire de l’Europe du Sud autre que la Grèce? Les responsables européens ont applaudi la reprise en Espagne, qui fait tout ce qu’elle était censée faire et dont l’économie a finalement commencé à croître à nouveau et même à créer des emplois. Mais le style européen du succès signifie un taux de chômage qui est toujours près de 23 pour cent et un revenu réel par habitant qui est encore 7 pour cent inferieur au niveau le plus bas avant la crise. Le Portugal a également docilement mis en place une sévère austérité et se trouve 6 pour cent plus pauvre qu’il ne l’était.
Pourquoi y a-t-il tant de désastres économiques en Europe ? Ce qui est en fait frappant à ce stade est combien les origines de la crise européenne diffèrent d’un pays à l’autre. Oui, le gouvernement grec a trop emprunté. Mais ce n’est pas le cas du gouvernement espagnol. La situation de l’Espagne a à voir avec des prêts privés et une bulle immobilière. Et la situation de la Finlande n’a rien à voir avec la dette. Elle est le résultat d’une faible demande pour les produits forestiers, un produit d’exportation national majeur, ainsi que les faux pas de l’industrie finlandaise et en particulier de Nokia, son ancien champion national.
Ce que l’ensemble de ces économies a en commun est qu’en rejoignant la zone euro, ils se sont mis dans une camisole de force économique. La Finlande souffrait d’une crise économique très sévère à la fin des années 1980 bien pire au début, que ce dont elle souffre maintenant. Mais elle a été en mesure de concevoir une reprise assez rapide en grande partie en dévaluant fortement sa monnaie, ce qui a rendu ses exportations plus compétitives. Malheureusement, elle n’a pas aujourd’hui de monnaie à dévaluer. Et la même situation existe dans d’autres points chauds de l’Europe.
Est-ce à dire que la création de l’euro était une erreur ? Ben oui. Mais cela ne revient pas à dire que l’euro devrait être éliminé maintenant qu’il existe. Le plus urgent maintenant est de desserrer ce carcan. Cela impliquerait une action sur plusieurs fronts, en commençant par un système unifié de garanties bancaires et une volonté d’offrir des allégements de la dette dans les pays où la dette est le problème. Cela impliquerait également la création d’un environnement global plus favorable aux pays qui tentent d’ajuster leur infortune, en renonçant à l’austérité excessive et en faisant leur possible pour augmenter le taux sous-jacent d’inflation de l’Europe — actuellement moins de 1 pour cent — pour remonter au moins à la cible officielle de 2 pour cent.
Mais il y a de nombreux fonctionnaires et politiciens européens opposés à tout ce qui rendrait l’euro viable, qui croient encore que tout irait bien si tout le monde présentait suffisamment de discipline européenne. Et c’est pourquoi l’enjeu du referendum grec de dimanche est encore plus important que la plupart des observateurs ne le réalisent.
Un des grands risques si le public grec vote oui — c’est-à-dire un vote qui accepte les demandes des créanciers, et donc répudie la position du gouvernement grec et probablement renverse le gouvernement — est que cela renforcerait et encouragerait les architectes de l’échec européen. Les créanciers auront démontré leur force, leur capacité à humilier toute personne qui conteste les demandes de l’austérité sans fin. Et ils vont continuer de prétendre que l’imposition d’un chômage de masse est la seule ligne de conduite responsable.
Que faire si la Grèce vote non? Cela conduira à un effrayant terrain inconnu. La Grèce pourrait bien quitter l’euro, ce qui serait extrêmement perturbateur à court terme. Mais cela offrirait également à la Grèce une chance d’une véritable reprise. Et ce serait un choc salutaire à la complaisance des élites de l’Europe.
Ou pour le dire un peu différemment, il est raisonnable de craindre les conséquences d’un vote «non», car personne ne sait ce qui adviendra. Mais vous devriez avoir encore plus peur des conséquences d’un « oui », parce que dans ce cas, nous ne savons pas ce qui va suivre: plus d’austérité, plus de désastres et finalement une crise bien pire que tout ce que nous avons vu jusqu’à présent.
Paul Robin Krugman est un économiste américain, professeur d’économie et des affaires internationales à la Woodrow Wilson School des affaires publiques et internationales à l’Université de Princeton ; professeur Centenaire à la London School of Economics ; chercheur émérite à la Luxembourg Income Study Center au CUNY Graduate Center,
Il est chroniqueur de gauche pour le New York Times.
En 2008, Krugman a remporté le prix Sveriges Riksbank en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel pour ses contributions à la théorie New Trade Theory and New Economic Geography. [Nouveau Commerce et Nouvelle géographie Economique]. Selon le Comité du prix, il fut décerné pour le travail de Krugman expliquant les structures du commerce international et de la concentration géographique de la richesse, en examinant les effets des économies d’échelle et de préférences des consommateurs pour divers biens et services.
Krugman a écrit plus de 20 livres, y compris des ouvrages savants, des manuels et des livres pour un public plus général, et a publié plus de 200 articles scientifiques dans des revues professionnelles et des volumes édités. Il a également écrit plus de 750 colonnes sur les questions économiques et politiques pour le New York Times, Fortune et Slate.