Les plurilingues ont-ils de multiples personnalités

 Étant moi-même multi linguiste et multiculturel, je m’intéresse à ses particularités et à ceux qui en partagent les caractéristiques.

J’ai glané un peu partout des Renseignements sur le sujet et en ai tiré deux exemples avec les conclusions qui suivent.

Dans un essai récent du magazine américain New Republic, Alice Robb examine certaines particularités des multi linguistes.

Noam Scheiber rédacteur en chef de New Republic -qui a grandi parlant hébreu et anglais explique pourquoi il a cessé de ne parler que l’hébreu à sa fille de trois ans. «Ma personnalité en hébreu se révèle être beaucoup plus froide, plus sérieuse, et, avouons-le, moins éloquente, » écrit-il. « En anglais, ma sensibilité naturelle est patiente et discrète. Mon style en hébreu est harceleur et procédurier. »

Je comprends le sentiment, dit Alice Robb. Mon français pas si fluide est plus à l’aise pour parler de fournitures scolaires. Il est surprenant de constater que les gens qui parlent couramment deux langues perçoivent un changement de personnalité lorsqu’ils passent d’une langue à l’autre.

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Deux chercheurs linguistes Jean-Mark Dewaele et Aneta Pavlenko ont demandé entre 2001 et 2003 à plus d’un millier de bilingues s’ils se sentaient une personne différente lorsqu’ils parlaient une langue ou une autre. Près des deux tiers de ces bilingues ont confirmé  cet état de fait.

Comment cela se joue-t-il  en conversations au jour le jour ?

Susan Ervin, sociolinguiste à l’Université de Californie, à Berkeley, a entrepris d’explorer en 1964 les différences dans la façon dont les bilingues représentent les mêmes histoires dans différentes langues. Elle recruta 64 adultes français vivant aux États unis, à l’aise autant en anglais qu’en français, et qui avaient passé une moyenne de 12 ans aux États-Unis. 40 d’entre eux étaient mariés à un conjoint américain. À deux reprises, à  six semaines d’intervalle, Ervin leur a donné le Thematic Apperception Test  “test d’aperception thématique”: test utilisé en psychologie utilisant plusieurs méthodes d’interprétation qui projette des états intérieurs. L’examen psychologique qui sert au diagnostic se conclut par un rapport d’analyses et des conclusions.

Ervin montra ensuite à ses sujets une série d’illustrations en leur demandant de construire une histoire de trois minutes pour accompagner chaque scène. Au cours de la première séance, le volontaire et l’expérimentateur ne parlèrent que français, tandis qu’à la seconde séance ils ne parlèrent que l’anglais.

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Ervin analysa ensuite chaque histoire en examinant les différents thèmes intégrés dans les récits. En comparant les deux séries d’histoires, elle identifia des différences de sujets particulièrement significatives. Les histoires en anglais mettaient le plus souvent en vedette la réussite des femmes, l’agression physique, l’agression verbale envers les parents, et les tentatives d’évasion de blâme, tandis que les histoires françaises étaient plus susceptibles d’inclure la domination par les aînés, la culpabilité et l’agressivité verbale envers leurs pairs.

En 1968, Ervin, devenue « Ervin-Tripp », conçut une autre expérience pour pousser plus loin l’exploration de son hypothèse qui suggère que le contenu du discours bilingue change avec la langue. Cette fois-ci, Ervin-Tripp étudia des  femmes japonaises vivant dans la région de San Francisco, la plupart étant mariées à des américains et beaucoup d’entre elles ayant des enfants américains.La majorité des femmes vivait largement isolée d’autres Japonais en Amérique, et ne parlait le japonais qu’uniquement lors d’une visite au Japon ou entre amis bilingues. Ervin-Tripp demanda à un enquêteur bilingue de donner à chacune des femmes diverses tâches verbales tant en japonais qu’en anglais, et comme elle s’y attendait il en résultat d’importantes différences.

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Lorsque par exemple on demanda aux femmes de compléter les phrases suivantes, leurs réponses différaient en fonction de la langue dans laquelle la question était posée :

1. Quand mes désirs sont en conflit avec ceux de ma famille, je…

[Japonais]  j’éprouve un moment de grande tristesse.

[Anglais] Je fais ce que je veux.

2. Je vais probablement devenir …

[Japonais] une femme au foyer.

[Anglais] une enseignante.

3. De vraies amies devraient …

[Japonais] s’entraider.

[Anglais] être très franches entre elles.

D’autres chercheurs ont utilisé des méthodes plus qualitatives pour essayer de comprendre l’impact de la langue sur la personnalité.

En 1998, Michele Koven, une chercheuse à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign, a passé un an et demi à effectuer des recherches ethnographiques avec des adultes parisiens bilingues dont les parents avaient immigré du Portugal. Tous ses sujets parlaient couramment le français et le portugais, et la plupart maintenaient des liens étroits avec le Portugal tout en vivant en France.

Bien que la plupart d’entre eux eussent également des amis français monolingues, un grand nombre d’entre eux prévoyaient retourner au Portugal par la suite.

Koven s’est concentrée spécifiquement sur la façon dont ses sujets se représentaient dans des récits d’expériences personnelles, qu’elle  suscitait en leur demandant de raconter divers événements de la vie dans les deux langues. Lorsque Koven transcrivit et analysa le contenu de leurs récits, elle remarqua que ses sujets soulignaient différents traits des personnages de leurs récits, en fonction de la langue qu’ils parlaient.

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Par exemple les femmes, dans les histoires françaises étaient plus susceptibles de se prendre en charge, tandis que dans les récits portugais elles avaient tendance à céder aux demandes des autres. Et leurs propres personnalités  changeaient  aussi. Par exemple, écrit Koven, une jeune fille décrite en français ressemblait à  «une sympathique banlieusarde en colère » quand elle parlait français, mais quand elle parlait portugais, elle ressemblait plus à «une cliente frustrée dans une banque, bien que patiente et bien élevée, qui ne veut pas attirer l’attention sur le fait qu’elle est une émigrée». Les chercheurs ont encore à déterminer si ces résultats sont :

soit en raison de différents contextes dans lesquels le français et le portugais avaient été appris ;

soit une différence inhérente entre les deux langues, ou une combinaison de ses facteurs, les chercheurs en sont encore à établir de conclusions.

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