Ne suspendez pas vos étudiants. Mettez-vous à leur place.
Par David L. Kirp
2 septembre 2017
le New York Times
Le système scolaire américain et beaucoup moins rigide que le système français. Les professeurs font des efforts pour se montrer plus compréhensifs et permettre aux élèves d’être plus relax.
Pour ses professeurs du Ridgeway High School à Memphis, Jason Okonofua était un drôle de gaillard. Pendant les cours, son esprit se détournait et il perdait le fil de la leçon. Il s’affalait sur son bureau et s’assoupissait.
Ses professeurs prenaient cela personnellement, et y voyaient un manque de respect. Il avait été mis en détention et avait été suspendu à plusieurs reprises.
Jason pourtant, n’essayait pas d’ennuyer ses professeurs. Il ne faisait pas attention en classe parce qu’il était absorbé par les malheurs de ses amis – l’un d’eux venait d’être arrêté, un autre s’était tiré une balle par accident. Il ne pouvait pas rester éveillé parce qu’il était fatigué d’avoir travaillé dans un restaurant jusqu’à minuit.
Ses professeurs ne savaient rien de tout cela. Ils considéraient Jason comme un fauteur de troubles. Des recherches ont montré que sa couleur noire – dans son cas, d’origine nigérienne – avait rendu plus facile de faire cette conclusion. Jason se sentait attaqué et humilié et réagissait avec défi.
Aujourd’hui, Jason Okonofua vient tout juste de passer professeur de psychologie à Berkeley. Ses recherches portent sur l’empathie, la compassion. En tant qu’étudiant en doctorat, il a examiné comment le fait d’aider les couples à comprendre les sentiments de son conjoint leur permettait de se parler et non de parler dans le vide. Ensuite il a appliqué cette approche à l’éducation : comment peut-on aider les enseignants à comprendre la façon dont les adolescents ressentent le monde ? Aborder le problème du point de vue des enseignants plutôt que de celui des élèves était une approche novatrice. S’il pouvait changer le comportement d’un seul enseignant, pourrait-il améliorer l’avenir de toute une classe de Jason Okonofuas?
Il s’avère que la réponse est oui.
Des mini-rébellions, telles que celle du jeune Jason, adviennent dans les salles de classe des milliers de fois par jour. Le ministère de l’Éducation [des États-Unis] estime que 7% de la population étudiante – près de 3,5 millions d’élèves de la maternelle à la fin du secondaire – a été suspendue au moins une fois au cours de l’année universitaire 2011-2012, la dernière pour laquelle ces données étaient disponibles [à la parution de cet article]. En dépit du climat de Checkpoint Charlie dans de nombreuses écoles secondaires urbaines, où les élèves sont regroupés pour passer au travers d’un détecteur de métal lorsqu’ils entrent dans le bâtiment,
les suspensions sont rarement motivées par la violence.
Quatre-vingt-quinze pour cent sont pour « défi volontaire » ou « cause de désordre ».
Les étudiants afro-américains sont les plus durement touchés. Ils sont plus de trois fois plus susceptibles que leurs camarades de race blanche d’être suspendus ou expulsés. En conséquence, dès le collège, de nombreux étudiants noirs ont conclu que lorsqu’il est question de discipline, les cartes sont distribuées à leur désavantage. Ils cessent de faire confiance à leurs enseignants et leur attitude négative devient une prophétie auto réalisatrice. Ils sont à la traîne quand ils sont suspendus et beaucoup abandonnent ou sont expulsés.
Se débarrasser des mauvais élèves est censé être bénéfique pour leurs « bons » camarades de classe, mais cela ne s’avère pas être le cas. Lorsque les élèves voient leurs camarades de classe se faire montrer la porte pour avoir commis de triviales infractions, ils craignent d’être les suivants. Des études montrent qu’ils deviennent anxieux et réussissent moins bien aux tests à enjeux élevés de mathématiques et de lecture.
En bref, ce type de discipline est une proposition perdant/perdant. Que faut-il faire ?
Laissez entrer : l’empathie, la compassion.
Beaucoup de nouveaux enseignants sont déterminés à donner aux enfants pauvres les outils dont ils ont besoin pour réussir à l’école et au-delà. Mais au bout de quelques années, les enseignants sont souvent déçus par le combat pour conserver le contrôle de leur classe. Le docteur Okonofua, avec les psychologues de Stanford, Gregory M. Walton, Jennifer L. Eberhardt et Dave Paunesku, souhaitait changer cela.
Ils ont créé de brèves interventions mettant l’accent sur le pouvoir de la « discipline compatissante », notamment un exercice en ligne de 45 minutes et un module en ligne de 25 minutes. Dans une étude de 2016, 31 professeurs de mathématiques au collège ont suivi le tutoriel. Les enseignants lisent des récits sur ce qui ressemble à de la désobéissance et peut refléter la manière dont les adolescents apprennent à naviguer dans le monde – non pas comme des fauteurs de troubles, mais comme des adolescents testant de nouvelles identités. « Un enseignant qui fait tout pour que ses élèves se sentent entendus, valorisés et respectés leur montre que l’école est juste et qu’ils peuvent s’épanouir et y réussir », conseille l’un des segments.
L’objectif n’est pas de transformer les professeurs en personnes qui laissent les élèves échapper à tout, mais de démontrer qu’ils peuvent combiner à la fois la discipline et les bons rapports et obtenir de bons résultats.
Les aboutissements de cette expérience ont largement dépassé les attentes des chercheurs : l’expérience en ligne des enseignants a permis de réduire de moitié les suspensions. Des sondages menés auprès des élèves ont également révélé qu’ils respectaient davantage leurs enseignants. Les moins satisfaits – ceux qui avaient déjà été suspendus – ont déclaré se sentir plus respectueux envers les enseignants qui avaient suivi l’exercice.
Cet automne, un exercice similaire, conçu par le Dr Okonofua et un collègue afin d’aider les enseignants à comprendre à quel point il est difficile – et essentiel – de surmonter le fossé racial – sera mis en œuvre dans 50 écoles moyennes et secondaires [niveau du lycée] où sont inscrits plus de 50 000 étudiants.
Pour le Dr Okonofua, c’est une réussite personnelle.
«Je pense à mes frères aînés, qui ont été constamment suspendus et qui ont eu des accrocs au cours de leur adolescence », m’a-t-il dit. Il a visé haut lorsqu’il a déclaré : “Je veux combler le vide entre les suspensions noir-blanc “.
Les résultats de cette expérience ont largement dépassé les attentes des chercheurs : l’expérience en ligne des enseignants a permis de réduire de moitié les taux de suspension.