Passez vos vacances à Rome ou sur cette plate-forme pétrolière?

by Jean-Pierre Angel · Published August 18, 2015 · Updated January 3, 2016

C’est la rentrée… Pour les Français il est temps de penser aux prochaines vacances. [pour les Américains le sujet a bien moins d’importance]. Je vous présente donc ici une alternative qui n’est certainement pas pour tout le monde, certainement pas pour les pleutres comme moi qui sont plus à l’aise assis devant un ordinateur qu’aux quatre vents

. Elle est pour ceux qui aiment les aventures extrêmes et la plongée sous-marine.

Cet article est également intéressant par sa discussion sur les conséquences environnementales de la recherche en mer du gaz et du pétrole. Tout comme on parle du prix de l’électricité nucléaire sans jamais penser au coût du démantèlement que cela occasionnera un jour, on ne pense pas plus au coût du démantèlement des plates-formes qui pullulent aujourd’hui sur les océans. Lorsqu’elles sont près des côtes, tel qu’en Californie, en Louisiane ou en Angleterre, on peut facilement le gérer. Mais que dire des plates-formes loin de tout, à des milliers de kilomètres d’un rivage, loin des lois et d’une administration qui régirait son emploi et son démantèlement ?

Par Ian URBINAAUG. 15, 2015

New York Times

SundayReview |

Sur une plate-forme dans La mer des Célèbes –

Au cours des prochaines années, des milliers de plates-formes de forage offshore de pétrole ou de gaz construits pendant le boom mondial de la construction dans les années 1970 et 80 atteindront l’âge de la retraite et devront être disposés. Les pays devront décider de les couler, de les démonter ou de leur trouver un nouvel emploi.

Bien que peu de propositions aient été mises en pratique, on ne manque pas d’idées pour l’utilisation des plates-formes: prisons super maximales, maisons privées, écoles de plongée, fermes aquatiques ou stations éoliennes.

Contrairement aux précédentes générations de plates-formes marines, qui étaient moins nombreuses, plus petites et plus près du rivage, celles que l’on met actuellement à la retraite sont plus grandes, plus nombreuses et reparties beaucoup plus largement à travers le monde. La plupart de ces plates-formes sont trop âgées pour une utilisation dans l’industrie lourde, mais pas suffisamment ancienne pour exiger leur complet retrait.

Les compagnies pétrolières et gazières préfèrent généralement couler les plates-formes, car c’est là la solution la moins chère.

Beaucoup de scientifiques soutiennent cette approche, arguant que cela crée des habitats marins et sous-marins et serait moins sujet à la propagation intensive du carbone que le démantèlement le serait. Le simple louage d’une barge lestée d’une grue pour la casse et la mise en pièces pour la mise au rebut peut coûter plus de $ 500.000 dollars par jour.

Désireux de retrouver des recettes fiscales et des investissements tels que ceux créés par les forages, les législateurs de Californie ont poussé au cours des dernières années un projet de loi à approbation accélérée concernant les compagnies pétrolières qui cherchent à couler leurs plates-formes.

Mais les critiques affirment que de nombreuses plates-formes réutilisées font plus de mal que de bien. Couler les plates-formes pour les transformer en récifs, par exemple, ne facilite pas la propagation de la vie aquatique, disent-ils, et ne fait qu’attirer, et concentrer le poisson pour faciliter la pêche. Le métal sur les structures, certaines couvrant l’espace d’un terrain de football, rouille au fil du temps et peut propager une dangereuse pollution, selon les scientifiques marins. “Les océans ne doivent pas être un entrepôt à la ferraille » , a déclaré Richard Charte, senior fellow à la Fondation Ocean, une organisation de recherche et de protection marine.

Plus de 400 plates-formes sont candidates à l’enlèvement immédiat.

Deux jours passés sur une plate-forme convertie l’année dernière dans la mer des Célèbes, à un kilomètre de la côte de Bornéo, en Malaisie, m’ont offert une idée de l’éventail des possibilités et des défis. “Il n’y a pas de moustiques, pas de mouches, pas de sable pour se placer dans vos affaires et nul besoin de se fatiguer à trimballer l’équipement avant ou après la plongée», a déclaré Suzette Harris, directeur général du de la plate-forme Seaventures Dive, lors de ma visite à son hôtel et à son école de plongée située sur la plate-forme – un coin d’une beauté à couper le souffle -.

Mais la mer peut être un site sans loi et de nombreuses plates-formes de forage au monde se trouvent dans des régions éloignées, parfois dans des eaux dangereuses. Il fallut près de 24 heures pour arriver à Seaventures depuis un important aéroport (y compris un voyage en bus, par avion à hélice et en hors-bord). En raison de récents enlèvements et attaques dans la région par un groupe de guérillas philippine, les fonctionnaires du Département d’État américain nous ont déconseillé, à moi et un photographe, de visiter cette section de Bornéo. L’armée malaisienne a tranquillement posté des commandos armés la nuit sur la plate-forme Seaventures pour s’assurer qu’aucun invité ne serait enlevé. Notre voyage a donc été sans incident; de nombreux touristes étrangers se trouvaient également dans la région.

Ailleurs, d’autres groupes convoitent ces plates-formes démodées. Une organisation architecturale basée à Londres a, il y a plusieurs années, tenu une compétition pour la conception de prisons sur des plates-formes neuves ou rénovées. L’organisation “Sea-steaders” a proposé l’achat de plates-formes pour créer des communautés marines dans le but d’échapper au bruit en milieu urbain, à la foule, à la criminalité et la pollution, ou potentiellement pour se placer au-delà de la portée de certaines lois et taxes dans les eaux internationales.

Aux États-Unis, un programme fédéral rigs-To-reefs [plates-formes-en-récifs] a supervisé l’immersion de centaines de plates-formes dans les eaux américaines. On prévoit de déclasser des milliers d’autres plates-formes dans le golfe du Mexique au cours des prochaines années.

Le programme fédéral permet à certaines compagnies pétrolières et gazières de convertir leurs installations désaffectées en récifs au lieu d’exiger que les entreprises les démantèlent . Bien que l’option plates-formes-en-récifs coûte moins cher que son démantèlement, le propriétaire de la plate-forme paie la moitié des économies estimées par l’agence d’État qui reçoit l’ancienne plate-forme. En Louisiane, le programme est très populaire parmi les pêcheurs parce que les récifs artificiels attirent les poissons. Il a été opposé, cependant, par le Louisiana Shrimp Association, [l’Association des crevettes de Louisiane], parce que les plates-formes empêchent le chalutage des fonds marin par les crevettiers.

Les supporters du programme disent que mis à part les avantages environnementaux, le coulage des plates-formes permet de garder les prix de l’énergie plus bas pour les consommateurs en rendant le forage plus abordable. «Voilà exactement le problème”, a déclaré John Hocevar, directeur de campagne des océans pour Greenpeace. En économisant l’argent des sociétés de forage, dit-il, les programmes plates-formes-à-récifs ne font que favoriser plus de forage. Ils dissimulent le coût véritable de ce type d’extraction d’énergie et approfondissent la dépendance mondiale sur le carburant fossile. La transformation de plates-formes construites pour être temporaires impose également des charges d’entretien à long terme et de responsabilités du public, a-t-il ajouté, permettant aux entreprises qui ont profité à l’origine de ces plates-formes d’éviter la responsabilité de leur sort final.

Dr Sharul Sham bin Dol, le directeur du département de l’ingénierie pétrolière à l’Université Curtin au Sarawak, en Malaisie, a déclaré que les plates-formes fonctionneraient bien comme viviers. “Comme les cages à poissons pendent dans l’eau, ils réduisent aussi le transport et les coûts opérationnels,” a-t-il dit.

Dr Ulugbek Azimov, professeur de génie mécanique à l’Université de Northumbria à Newcastle-upon-Tyne, en Angleterre, a ajouté que le plus grand avantage au transfert de l’aquaculture aujourd’hui à terre sur les plates-formes pétrolières au large est qu’il permettrait de réduire les maladies et l’accumulation de déchets, ce qui est un énorme problème dans la pisciculture à terre. “Si nous déplaçons l’aquaculture en mer, elle sera alors sujette aux mouvements continus de marées,” at-il dit, “de sorte que les déchets seront rincés loin de la zone, avec un recyclage continu de déchets.”

D’autres plates-formes peuvent-elles être converties en attractions touristiques comme l’est Seaventures ? La question demeure en suspend. L’hébergement sur la plate-forme de plongée ici est spartiate: les chambres sont des conteneurs d’expédition en acier de douze mètres dotés de petites armoires en acier pour les vêtements. L’entretien de la structure est cher. L’équipage de la plate-forme nous a dit que l’eau de mer corrodait rapidement son cadre métallique et qu’il était nécessaire de repeindre plusieurs fois par an. L’obtention de pièces de rechange pour l’ascenseur et le générateur est difficile, ont-ils dit. “Seuls les plongeurs invétérés séjournent chez nous,” a concédé Mme Harris.

Le plus grand débat sur la meilleure façon de recycler les plates-formes ne disparaîtra pas. En mer du Nord, au large de la côte de la Grande-Bretagne, par exemple, environ 470 000 tonnes de matériel marin – des plates-formes, des pipelines et des puits – devront être mises hors ligne et récupérées d’ici 2022, à un coût estimé à plus de 16 milliards de dollars. Le gouvernement britannique a offert de grands avantages fiscaux aux sociétés d’énergie et autres pour les aider à surmonter la dépense.

Et comme les entreprises pétrolières et gazières se risquent de plus en plus loin en mer – et dans des environnements extrêmes, tels que l’Arctique –pour exploiter les carburants fossiles, les défis de l‘élimination sont tenus de devenir plus compliqués.