Pour échapper au réchauffement climatique : la ville de Duluth dans le Minnesota promet un apaisement
Où déménageriez-vous si les conditions météorologiques extrêmes rendaient votre ville invivable ?
Prenons l’exemple de Duluth, au Minnesota. Un spécialiste de l’adaptation au climat de l’Université Harvard pense que les températures froides de la ville, l’abondance d’eau douce et les infrastructures industrielles en font un refuge climatique idéal.
Par Kendra Pierre-Louis
15 avril 2019
DULUTH, Minnesota– alors que l’Ouest brûle, que le Sud est chaud et que des inondations se produisent dans l’Est, des Américains commencent à reconsidérer leur lieu de résidence.
Pour obtenir des conseils, quelques-uns se tournent vers Jesse Keenan, conférencier à la Graduate School of Design, École Supérieure de Design de l’Université Harvard. Au moins une fois par jour, M. Keenan, qui étudie le développement urbain et l’adaptation au changement climatique, reçoit un courrier électronique de quelqu’un lui demandant où se protéger du changement climatique. Les messages proviennent de personnes qui pensent déménager non pas parce qu’elles ont été touchées par une catastrophe, mais parce qu’elles pensent en voir les signes avant-coureurs.
Alors, que suggère le Dr Keenan à ces planificateurs d’avant-garde?
Duluth est une ville qui peut tenir tête au climat.
C’est un slogan qu’il a créé dans le cadre d’un programme de développement économique et de marketing commandé par l’université du Minnesota à Duluth. Certains leaders de la communauté sentent que le changement climatique offre une occasion et pensent qu’ils peuvent stimuler la croissance de la Ville en stimulant le développement de sa population. Et Duluth n’est pas la seule agglomération urbaine à voir une migration climatique. Dans un discours prononcé en février, le maire de Buffalo [état de New York], Byron W. Brown, a déclaré que sa ville était un “refuge climatique”.
Le Dr Keenan a souligné, un jour de la mi-mars alors que nous nous tenions debout sur la glace du lac Supérieur, que son slogan sur Duluth était censé être ironique. La science derrière cette formule, cependant, n’est pas une blague.
Nulle dans le monde n’est à l’abri des changements climatiques, y compris à Duluth.
« Nous recevons plus que jamais de plus amples précipitations, a déclaré Kenneth Blumenfeld, climatologue principal au Minnesota Department of Natural Resources Departement des Ressources Naturelles du Minnesota.
“Mais quand on s’y tourne sur son passé, c’est presque dire:
– ” On s’y trouve bien ! “
L’infrastructure de Duluth peut accueillir une augmentation de 150 000 personnes, la population actuelle n’étant que de 86 000 personnes. Seules 56 personnes ont été ajoutées de 2010 à 2016.
Selon les projections climatiques, les facteurs géographiques de la région autour de Duluth, c’est-à-dire la région des Grands Lacs, suggèrent que, Duluth sera l’un des rares endroits d’Amérique où les effets du changement climatique pourront être plus facilement contrôlés.
Tout d’abord, on y est au frais. Cela signifie qu’avec l’augmentation des températures, elle restera relativement douce. D’ici 2080, même avec des concentrations relativement élevées d’émissions de dioxyde de carbone, le climat de Duluth devrait se rapprocher de celui de Toledo, dans l’Ohio, avec des sommets estivaux atteignant 80 Fahrenheit [27C].
– “Nous ne voyons pas de vagues de chaleur ou de nuit qui dépassent les 75 degrés [24 C] “, a déclaré le Dr Blumenfeld. “, ce que nous voyons, par contre ce sont des hivers plus chauds, moins de jours d’hiver où nous subissons des températures négatives au-dessous de -31 degrés Fahrenheit [-35 C].”
Comme la région demeurera relativement fraîche, le risque d’incendie de forêt y sera plus faible que dans l’Ouest ou le Sud-Est. A des températures plus élevées, les feux de brousse se développent, ce qui assèche les plantes et facilite leur combustion.
Duluth étant à l’intérieur des terres, elle est principalement protégée des effets de l’élévation du niveau de la mer.
Duluth, par sa position à l’extrémité ouest du Lac-Supérieur, le plus grand des Grands Lacs en volume, dispose également de beaucoup d’eau douce. Le Lac Superieur est si volumineux que, s’il se déversait, il submergerait l’Amérique du Nord et du Sud d’un pied d’eau [31 cm C].
– « En fin de compte, il s’agit d’eau douce», a déclaré le Dr Keenan. “C’est aussi simple que ça, on a besoin d’eau fraîche”.
En fait, il en faut pas mal pour répondre à nos besoins minimaux pour la boisson, la cuisson ainsi que pour le nettoyage. L’Organisation mondiale de la santé indique qu’il nous faut besoin de 13 à 26 gallons d’eau par jour, soit environ 50 à 100 litres d’eau. L’Américain moyen utilise 80 à 100 gallons d’eau [300 à 350 litres].
La Ville n’a pas encore officiellement adopté le plan du Dr. Keenan concernant les refuges climatiques, mais elle capte l’attention de la mairesse, Emily Larson.
-“L’idée que ce chercheur national ait identifié Duluth comme un endroit possédant une sorte de source secrète en tant que lieu de refuge, de durabilité et de résilience, c’est quelque chose dont on est heureux de faire partie”, a-t-elle déclaré.
A l’issue d’une conférence de deux jours, présentée au public et consacrée à la compréhension de l’avenir de Duluth dans un monde en réchauffement climatique, la recherche du Dr Keenan, qui vise entre autres à prédire les États susceptibles de perdre leur population en raison du changement climatique, a suggéré que les Texans et les Floridiens actuels feraient d’excellents futurs Duluthiens.
« Que veulent vraiment les habitants de la Floride ?» A déclaré le Dr Keenan, lui-même un ancien Floridien, qui conserve une résidence dans cet État :
– “Ils veulent l’horizon infini de l’océan.”sur le lac Supérieur :
– «En fin de compte, il s’agit d’eau douce», a-t-il déclaré.
C’est peut-être pourquoi l’un des exemples d’annonces publicitaires du Dr. Keenan :
– «Duluth : Il ne fait pas aussi froid que vous l’imaginez», présente l’image d’un surfeur en combinaison de plongée.
Une blague quelque peu ironique. La photo prêta au rire du public lorsqu’il la montra lors de sa présentation. Duluth a une saison de surf, mais la publicité glisse sur le fait qu’elle est en hiver. Les surfeurs se dirigent vers le lac à des températures aussi basses que moins 15 Fahrenheit, soit moins 26 Celsius.
– « Nous avons fait nommément l’expérience d’une semaine avec un refroidissement éolien négatif de presque moins 60 degrés », a déclaré Kyle Skarp, un électricien, alors qu’il regardait ses amis jouer à des jeux de société dans la salle du fond du Blacklist Artisan Ales, un pub de Duluth.
– « On n’avait pas envie de sortir. Pas tellement à cause des désagréments, mais plutôt parce que s’eut été dangereux. ”
Mais tout le monde n’est pas d’accord sur le plan du Dr Keenan parce qu’il favorise les personnes qui ont les moyens financiers de se déplacer. En effet, le plan privilègie les mieux nantis et soulève aussi des questions d’embourgeoisement.
Après la présentation, Karen Diver, membre du corps professoral du College de Saint Scholasticaet adjointe spéciale du président Obama pour les affaires concernant les autochtones américains, a prévenu que les conclusions de la ville concernant la diversité des groupes ethniques étaient inégales.
– « De mon point de vue, nous n’avons même pas encore nettement résolu notre interaction avec notre population indigène », a déclaré Mme Diver, qui vit dans la réserve de sa tribu , près de Duluth et est membre du groupe Fond du Lacde Chippewa sur le lac Supérieur.
La maire Larson a semblé reconnaître que :
– « Nous avons beaucoup de travail à faire en tant que communauté pour devenir un lieu où la migration et l’immigration seront perçues comme sources de vitalité et de croissance», a-t-elle déclaré.
En fin de compte, si Duluth décide d’investir pour attirer les migrants climatiques, qu’ils soient volontaires ou déplacés, la ville peut être confrontée à de la concurrence.
Au moins une autre ville des Grands Lacs, Buffalo, située à 700 milles à l’est du lac Érié, éprouve un froid hivernal similaire et bénéficie des mêmes avantages géographiques que Duluth. Buffalo aura de l’eau douce même si le climat se réchauffe et ses étés resteront relativement frais.
– « Nous n’avons jamais eu une journée à 100 degrés [38 C]», a déclaré Stephen J. Vermette, professeur de géographie à l’université de l’État de Buffalo.
Les ornithologues ont compté des aigles à tête blanche migrateurs au-dessus de Duluth un récent jeudi et ont battu un record du nombre d’aigles repérés, sur la rive du Lac Supérieur à Duluth, soit 1 076.
– “Que veulent vraiment les gens de Floride?”, A demandé le Dr Keenan.
– “Ils veulent l’horizon infini de l’océan.”
Mais Buffalo a déjà reçu ce que l’on pourrait décrire comme une vague de migrants climatiques, après que l’ouragan Maria ait dévasté Porto Rico à l’automne 2017.
Ils sont venus en partie parce que Buffalo a une population portoricaine établie, ce qui signifie que de nombreux migrants potentiels ont des amis et des parents dans la Ville.
Au même moment, Buffalo s’était annoncée à la télévision portoricaine à la recherche de professeurs de langue espagnole. Ils sont venus parce qu’ils y avaient des liens et savaient qu’il y avait une chance qu’ils puissent y vivre.
– « Environ 10 000 personnes sont venues ici après l’ouragan de Porto Rico», a déclaré George Besch, président du conseil d’administration du Designing to Live Sustainably,la Conception d’une Vie Durable, un groupe à but non lucratif qui s’emploie à aider la région de Buffalo-Niagara à s’adapter au changement climatique.
Selon Matthew Hauer, aide-professeur en sociologie à la Florida State University, les personnes qui migrent, par choix ou non, aiment rester près de chez eux, ne se déplaçant que juste assez loin pour se mettre à l’abri du danger, mais restant souvent dans le même état ou dans la même région.
Pour plus d’informations sur le climat et l’environnement, suivez @NYTClimate sur Twitter.
Kendra Pierre-Louis est une journaliste de l’équipe climat. Avant de rejoindre The Timesen 2017, elle couvrait la science et l’environnement pour Popular Science. @kendrawrites
Une version de cet article a été imprimée le 16 avril 2019, à la page A11 de l’édition de New York, avec le titre: Pendant que la terre se réchauffe, Duluth a l’air plutôt cool.