Qu’est devenu le défi des seaux d’eau glacés sur la tête ?

Par James Surowiecki

Le New Yorker magazine

La Page Financière

25 juillet 2016

 

Les Américains sont les plus généreux au monde. Beaucoup d’entre eux donnent régulièrement à certaines époques de l’année tel qu’au moment de payer leurs impôts. Voici un témoignage typique où l’on tourne l’action de donner en jeu qui dans ce cas particulier connut un succès phénoménal.

La question se pose de trouver le moyen d’engager les jeunes à participer aux affaires d’une nation. Le vote américain de novembre prochain est une de ces situations. Il semble qu’il faille trouver des moyens appropriés à cette génération pour les motiver.

 

On a ironisé à l’époque en critiquant cette campagne des médias sociaux, la traitant d’indulgence, mais ses avantages se sont révélés étonnamment durables.

Ironisé et critiquée à l’époque comme “slacktivism,” [indulgence], la campagne de médias sociaux a obtenu des avantages étonnamment durables.

2 Sorti de nulle part, un énorme engouement balaie le pays. Il domine les médias sociaux et conduit à une avalanche de réflexion dans les publications, tandis que les critiques avertissent des conséquences funestes de cette mode. Finalement, les gens se lassent et passent à autre chose.

Cela pourrait bien être l’histoire de Pokémon Go, le jeu de réalité amplifié qui envoie ses adeptes errer dans les rues à la recherche de Pikachus et Squirtles. C’est aussi l’histoire du Ice Bucket Challenge [du défi des seaux d’eau glacée] de l’organisation ALS, en 2014. C’est alors que des millions de personnes se sont filmés renversant des seaux d’eau glacée sur leurs têtes, afin de lutter contre l’ALS, aussi appelée  Lou Gehrig desease [nommée en français, Sclérose Latérale Amyotrophique ou SLA ou encore maladie de Charcot]. Les utilisateurs de Facebook ont affiché plus de dix-sept millions de vidéos, de personnes détrempées qui se sont filmées, incluant d’innombrables célébrités telles que Bill Gates, Justin Timberlake, Leonardo DiCaprio qui se sont trempés pour la cause. Pendant quelques semaines, une maladie jusque-là peu connue et sous-financée a dominé l’imagination du public.

6Mais l’heureuse histoire a créé un malaise chez certaines personnes. Le défi a été tourné en dérision en tant que «slacktivism», [indulgence], une méthode facile pour se sentir vertueux sans faire grand-chose. Les critiques pensaient que cette activité amplifiait la tendance qu’ont les gens à faire un don pour des raisons émotionnelles, plutôt qu’après une évaluation minutieuse de l’endroit où l’argent peut faire le plus grand bien. Certains ont fait valoir que ce serait détourner des dons de maladies qui affligent beaucoup plus de gens que les six mille qui reçoivent un diagnostic de A.L.S. chaque année. Les gens ont même attaqué cet exercice comme un gaspillage d’eau.

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Toutes ces critiques ont eu le même thème sous-jacent : l’emballement fiévreux du défi mine sa valeur. Cela se comprend intuitivement, mais est-ce vrai ? En fait non. Aussi bête que le seau d’eau glacée peut paraître à présent, ses effets ont été considérables. Il a eu la campagne a recu, en seulement huit semaines, le don de deux cent vingt millions de dollars de dons de charité dans le monde pour l’organisation. L’organisation ALS américaine a reçu treize fois plus en contributions que ce qu’elle avait reçu dans l’ensemble de l’année précédente. La sensibilisation du public en fut augmentée : le défi représente la cinquième recherche la plus populaire sur Google pour toute l’année 2014. Brian Fredrick, le vice-président des communications et du développement à l’Association A.L.S., m’a dit: «Le défi a mis soudain au courant de la maladie beaucoup de gens qui ne savaient probablement pas qui Lou Gehrig [ou Charcot] était. Il a changé à jamais le visage de A.L.S..”

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Plus concrètement, l’argent récolté a conduit à plus de recherche et plus de dépenses sur les soins aux patients. L’Association A.L.S. a triplé son financement annuel pour la recherche. “L’environnement de la recherche est radicalement différent de ce qu’il était,” m’a dit Barbara Newhouse, la PDG de l’association. « Soudain, la recherche amplifie la connaissance non seulement sur les causes de la maladie, mais aussi sur les traitements et les thérapies. » L’été dernier, une équipe de Johns Hopkins a publié un article dans le magazine Science qui a été salué comme une percée dans la recherche sur A.L.S. ; les membres de l’équipe ont déclaré que le financement du défi a accéléré le rythme de leur travail.

66 Il est vrai que la grande majorité des personnes qui ont fait des dons pour A.L.S pendant le défi ne l’ont pas refait. Mais les contributions à l’Association A.L.S. sont encore environ vingt-cinq pour cent plus élevés que l’année avant le défi, et l’âge moyen des donateurs a chuté d’au-dessus de 50 à 35 ans. La campagne a été un énorme succès avec les jeunes de la génération millénale, un groupe démographique que la plupart des organismes de dons bénévoles ont eu du mal à atteindre. Les jeunes sont dans le groupe le moins susceptibles de faire des dons et les millénaux semblent plus résistants aux appels de charité traditionnels que les générations précédentes. Le défi a contourné ces problèmes en mettant à profit la puissance des médias sociaux pour diffuser la parole, et en rendant facile pour les gens de faire un don par l’intermédiaire de leurs téléphones cellulaires.

555 Si le succès du défi avait été atteint au détriment d’autres organismes de bienfaisance, l’ambivalence pourrait être justifiée. Mais il n’y a presque aucune preuve que cela a été le cas. Selon Giving U.S.A., les dons individuels aux États-Unis ont augmenté de près de six pour cent en 2014, ce qui ne suggère pas un effet de cannibalisme. En fait, il est probable que la nature même du défi, qui fait partie d’une catégorie connue des anthropologues comme «extrême rituel » [rituel extrême] a rendu les gens plus généreux. Dimitris Xygalatas, anthropologue à l’Université du Connecticut, qui a étudié les effets de ces rituels, a mené une fascinante expérience avec des gens qui faisaient l’expérience du kavadi, un rituel hindou qui implique souvent se percer la peau avec des objets pointus, puis à faire une longue procession en portant des objets lourds. Xygalatas a constaté que les gens qui ont fait kavadi, et même les gens qui venaient se joindre à la procession, donnaient plus aux charités que les gens dans un groupe témoin. Et ceux qui firent les descriptions les plus douloureuses de l’expérience ont donné plus généreusement. En conséquence, Xygalatas a suggéré que le défi du seau d’eau glacée a, plutôt que soustraire des dons à d’autres organismes de bienfaisance, presque certainement augmenté la taille du gâteau.

888C’est bien là, le véritable accomplissement du défi : il fallut l’emploie d’outils tels que, le selfie, le hashtag, le bouton like, qui sont généralement utilisés pour les divertissements privés ou les bénéfices des sociétés financières ; puis ils ont été renvoyés vers le bien public. Les critiques de la campagne impliquaient que, si les participants ne s‘étaient pas déversé de l’eau glaciale sur la tête, ils auraient plutôt contribué à la fin de la malaria ou joué au Pokémon Go. Mais il est plus probable qu’ils auraient regardé des vidéos ou en fait, joué au Pokémon Go. Le problème ne vient pas du fait que le défi du seau d’eau glacée était une mode de charité en vogue, mais plutôt qu’il a été était une mode de charité en vogue que personne n’a su répéter.

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James Surowiecki est l’auteur de “The Wisdom of Crowds” [«La sagesse des foules»] ; il écrit sur l’économie, les affaires et la finance dans Le New Yorker magazine.

 

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