Rien qu’Une Parisienne
J’aime beaucoup la façon qu’à Pamela Druckerman de voir la France et les Français. Mais son article, juste après l’horrible massacre a Charlie Hebdo m’a paru aller bien au-delà du point de vue d’une Américaine qui vit en France depuis plus de dix ans. Ses réflexions ont quelque chose d’universel que je trouve émouvant.
PARIS – Il y a environ quatre ans, un ami m’invita à déjeuner avec quelques-uns des dessinateurs de Charlie Hebdo, le journal satirique français. Charlie était à la recherche de nouveaux journalistes. Je cherchais du travail.
Pour préparer la réunion, je lus Charlie Hebdo. Je ne savais qu’en penser. Cela me parut une de ces choses françaises, tout comme les boutiques de taxidermistes, sans équivalents américains. Les pages de caricatures de Charlie Hebdo – généralement sur la religion, le sexe, la politique ou une combinaison des trois – procedent d’un fondement de francité que je ne comprenais pas.
Lors du déjeuner, je ne sus que penser des trois rédacteurs en chef: Stéphane Charbonnier, Jean Cabut et Laurent Sourisseau. Des hommes avec des surnoms étranges – Charb, Cabu et Riss – entourés d’une aura de légendes toutes natives. Pratiquement tout ce qu’ils exprimaient semblait être des blagues qui exigeaient un contexte que je ne possédais pas, mais qui faisait rire les autres.
Les trois hommes m’écoutaient poliment tandis que je leur lançais des idées d’articles dans mon français accidenté. L’un d’eux, je crois que c’était Cabut, me dessina un croquis amusant, c’était sa façon de communiquer avec moi. Mais tous trois faisaient partie d’une fraternité française dont les références m’échappaient. Nous nous sommes quittés avec des sourires, et ne nous sommes jamais reparlé.
Après que des tireurs aient tué 10 personnes à la réunion hebdomadaire de Charlie Hebdo, je parlais à l’ami qui avait organisé l’entrevue. « Deux des trois personnes avec qui tu as déjeuné sont mortes,” me dit-il. (Riss a été blessé à l’épaule, mais il a survécu.)
La France peut parfois paraitre étrange et déconcertante, mais la semaine dernière m’a fait mieux comprendre Charlie Hebdo et le pays. J’ai également était surprise d’éprouver un sentiment d’appartenance. Comme beaucoup d’expatriés, j’ai vécu les attaques non pas comme une étrangère observant la France, mais comme Parisienne et en tant que mère.
Cela a été en partie dû à la confusion causée par les événements ce jour-là. Les Parisiens n’en savaient pas plus que nous étrangers. Pour une fois, nous étions tous aussi désorientés les uns que les autres.
Et les événements qui se déroulaient étaient si proches. Les bureaux de Charlie Hebdo sont à 10 minutes à pied de mon appartement. La nuit de la fusillade, il régnait sur Facebook une espèce de concours macabre parmi les expatriés pour voir qui avaient été les plus rapprochés. Le premier était un Américain d’Alabama qui avait pour conduire sa fille à sa classe de danse marché sur le même trottoir où juste avant, un policier avait été abattu.
Il était particulièrement réconfortant que Paris soit soudain devenue plus engageante. Les parents qui accompagnaient leurs enfants à l’école souriaient entre eux.
Un serveur du café de mon quartier paru ravi de me voir. Mon voisin d’en bas, qui, habituellement, ne m’approche que pour se plaindre du bruit, tenta de me serrer dans ses bras [j’acceptai une poignée de main].
Nous avons tous eu du mal à contrôler le récit des événements pour nos enfants. Les miens pouvaient entendre les voitures de police depuis leur école. Le vendredi, je ne voulais pas leur parler de la crise des otages qui se déroulait à Vincennes, à quelques kilomètres de là. Mais quand je vins chercher ma fille à l’école, elle m’a immédiatement demandé: “Qu’est-ce qui se passe à Vincennes?”
Elle serrait contre elle une copie du Petit Quotidien, un journal français pour les 6 à 10 ans, avec comme titre «Les journalistes en danger.” Elle m’a demandé si j’étais également en danger. « Ça commence à devenir stressant,» a-t-elle ajouté.
Puis, quand je ne répondis pas à mon téléphone, l’un de mes enfants de 6 ans dit à mon mari que je pourrais être morte.
« Pourquoi penses-tu ça? » Demanda mon mari.
« À cause de Charlie,” répondit-il.
Son frère jumeau dit qu’un camarade de classe lui avait appris comment arrêter les méchants: Tu pointes le plafond, et du dis «regarde l’oiseau, » et quand l’homme regarde en haut, tu te précipites et tu lui donnes un coup de pied. Il a passé une partie du samedi à chasser un autre ami autour de l’appartement tandis que l’un d’eux criait “Charlie!» Et l’autre répondait, « Je vais te massacrer ».
Parler des événements était encore plus compliqué pour certains parents en France. Akram Belkaid, un journaliste d’origine algérienne qui a vécu 20 ans à Paris, m’a dit que quand il entend parler de n’importe quelle forme de violence, sa première pensée est toujours : faites que l’agresseur ne soit pas un musulman !
La semaine dernière, après qu’il ait convaincu son fils de 11 ans, effrayé, qu’il n’y aurait pas d’autre attaque, il le conseilla également sur la façon de gérer les questions de ses camarades de classe sur l’islam.
« Je lui ai dit, tu n’es pas le défenseur de l’islam. Ce n’est pas à toi de défendre la religion. Tu n’es que toi-même. Tu peux simplement répondre ça, s’a n’est pas l’islam, que tu es choqué et que tu ne supportes pas ce qui s’est passé.
Belkaid n’est pas un fan de Charlie Hebdo. Tout comme la plupart des gens en France, il ne l’achète pas. Il se trouve que je ne suis pas la seule à être insensible aux malicieuses caricatures du journal. Même mon ami qui organisa le déjeuner m’a dit cette semaine que ce n’était pas sa tasse de thé non plus, mais qu’il admirait le principe de la liberté d’expression que le journal défendait.
Je comprends aussi ce principe, maintenant. J’ai toujours su que les Français avaient un penchant pour la critique et la pensée abstraite. Habituellement, cela veut simplement dire qu’ils se plaignent beaucoup. Quand j’ai vu la semaine dernière, la foule scander “liberté d’expression” dans les rues, je me suis rendu compte à quel point ils considèrent le droit de tout critiquer. Quand Charlie Hebdo a été attaqué, ils ont immédiatement compris ce qui était en jeu.
Bien que nous vivions à Paris le long du parcours des manifestations, je n’ai jamais personnellement manifesté. Je les ai toujours observées depuis les coulisses. Mais le dimanche suivant, ma fille a fait un signe qui voulait dire «Liberté d’expression» et nous nous sommes dirigés vers la rue. Je n’étais qu’un visage de plus parmi la foule parisienne. Et pour la première fois, cela m’a paru tout à fait juste.
Pamela Druckerman écrit pour le New york Times. Elle est également l’auteur de Bringing Up Bébé: One American Mother Discovers the Wisdom of French Parenting (Parlons de bébé: une maman américaine découvre la sagesse de l’éducation à la française)