Sales oiseaux. Que représente vivre avec un symbole national?

30 MARS 2017

Par Laurel Braitman

N’en déplaise à ceux qui l’honorent, ce symbole est aussi un oiseau agressif et destructeur.

Dutch Harbor est une petite ville située sur une des îles de la chaîne aléoutienne de l’Alaska, au bord de la mer de Béring, à environ 2000 km d’Anchorage. C’est le port de pêche le plus prolixe aux États-Unis. Chaque hiver, la petite population se gonfle de milliers d’individus qui viennent travailler dans les usines de transformation de poisson, pêcher le crabe sur les bateaux ou pêcher sur les grands chalutiers de Morue et de Colin d’Alaska. Mais ils ne sont pas les seuls à tenter leur fortune en ville et sur les bateaux.

Les gens de la ville les appellent les pigeons de Dutch Harbor. Le reste d’entre nous les appelle aigles chauves. Dans une communauté d’un peu plus de 4700 résidents permanents, on compte environ 500 à 800 aigles. Ils observent judicieusement depuis les réverbères, surveillent attentivement les fenêtres des maisons, mangent renards et mouettes, perchés dans les arbres à côté de l’école secondaire, et se tiennent également sur les toits comme des girouettes vivantes. Sur les docks, ils s’agglutinent autour des bateaux qui entrent au port comme un cauchemar hitchcockien, se battant pour des bouchées d’appâts, se poussant les uns les autres pour obtenir une position privilégiée, se pressant sur les pièges à crabes et criant leur opinion.

Nous sommes habitués à voir notre oiseau national, tel un héros courageux dans des documentaires sur la nature où ils arrachent les saumons sur des cours d’eau sauvages. Nous le voyons aussi au dos de chaque billet de dollar dans nos portefeuilles et sur presque toutes les estampilles fédérales, depuis la NSA et la CIA jusqu’au bureau du président. Mais il leur est difficile en hiver, surtout à Dutch Harbor, d’attraper du poisson. On voit alors ces aigles pour ce qu’ils sont vraiment, c’est-à-dire de puissants charognards.

Il s’avère que lorsque vous vivez jour après jour auprès d’un symbole fédéral aussi particulier, il est plus difficile de les considérer comme majestueux. Des aigles chauves apparaissent sur les poinçons de la police locale, aux côtés de rapports de police de pêcheurs ivres qui ont perdu connaissance sur une couchette et lorsqu’ils prennent leur envol depuis un chariot élévateur.

Le matin de mon premier jour à Dutch Harbor, je suis allé à KUCB, la station de radio et de télévision locale, pour qu’on me raconte des histoires d’aigles. Je reçus toute sorte d’appels et de textes avant même d’en sortir. Un homme est arrivé directement de la gare, dans son chasse-neige, pour me parler avant même que je quitte le parking. Tout le monde en ville a plus d’une histoire d’aigle.

Ethan Iszler, seize ans, rentrait à l’école en mangeant une tranche de pizza au saucisson quand un aigle apparut venant de nulle part et la lui a volée dans sa main. D’autres personnes ont vu des aigles essayer de plonger sur leurs chiens qu’ils promenaient ou attraper leurs épiceries dans le parking du supermarché Safeway local.

Andres Ayure, un lieutenant de La Garde côtière, vit à Dutch Harbor depuis un peu plus d’un an. Il décida, lors de son troisième jour en Alaska, de grimper sur le mont Ballyhoo, une magnifique montagne au bord de la ville. En redescendant, un jeune aigle n’a pas aimé le regard d’Ayure et plongea sur lui plus de dix fois. “Je me suis dit,” ce n’est pas possible. Troisième jour en Alaska. Déjà que je ne voulais pas venir ici, et maintenant je vais mourir sous les plongeons d’un aigle. C’est de la vraie merde. ”

Ayure échappa de justesse puis il se rendit compte en tapotant la poche avant de son sweatshirt, qu’il avait perdu son téléphone et ses clés en se défendant des griffes de l’oiseau. Il a regardé vers la montagne, juste à temps pour voir l’aigle s’envoler avec son téléphone.

Les approcher lorsque les aigles protègent leurs poussins à la saison de nidification peut être dangereux. Le danger est tel au bureau de poste, où un couple défensif s’est construit un nid au-dessus du parking, que des panneaux d’avertissement ont été installés. Ils montrent un oiseau de plongeant, toutes griffes dehors, prêt à l’attaque ainsi qu’un client apeuré agitant les bras: danger nid d’aigle se lit en lettres rouges et perçantes. On prévoit également des casques et des bâtons afin que l’on puisse se défendre en entrant à la poste.

Beatriz Dietrick est une infirmière-praticienne des services de santé familiale Iliuliuk et la seule à fournir des soins médicaux à temps plein à Dutch Harbor. La plupart des blessures traumatiques qu’elle traite sont causées par la pêche ou le traitement de blessures dans les usines de transformation – terribles amputations de doigts ou traitements d’hommes dont les poitrines ont été écrasées par de lourds et oscillants pièges à crabes métalliques “.

Les blessures d’aigle sont ce qu’il y a de plus émouvant à voir”, me dit-elle. “Les victimes arrivent saignant abondamment de la tête. “Les blessés sont couverts de terre ou de boue – leurs vêtements froissés et déchirés. C’est comme s’ils avaient été frappés avec des poutres.

Un aigle qui attaque a une force suffisante pour jeter une personne au sol. Une femme attaquée au bureau de poste allant se faire soigner à la clinique a été attaquée une deuxième fois avant qu’elle y arrive.

L’aigle est devenu notre symbole fédéral en 1782 – un an avant la fin de la guerre révolutionnaire, lorsque les États-Unis se battaient pour l’indépendance contre l’Angleterre, et lorsque de grands massacres d’Amérindiens se déroulaient dans le Midwest. Ben Franklin a regretté la décision de mettre l’aigle sur le sceau national, il pensait que les aigles avaient «moralement mauvais caractère ». Dans une lettre à sa fille, il a écrit qu’il aurait préféré la dinde, bien qu’il ait reconnu qu’elle soit «insignifiante et un peu bête».

La population d’aigles s’est étendue un certain temps, mais à mesure que la population de la Nation a augmenté, son nombre s’est effondré, réduit d’abord par les pièges, la chasse et l’empoisonnement, ensuite par la perte de leur habitat et l’emploi du pesticide DDT, qui endommage leurs œufs. Les oiseaux sont devenus espèce protégée par le gouvernement fédéral en 1940.

Entre la fin des années 70 et le milieu des années 1990, leur nombre a considérablement rebondi et, en 2007, ils ont été rayés de la liste des espèces en voie d’extinction. Il est pourtant toujours illégal de les chasser, de leur nuire ou même de les déranger sans permis du Secrétaire de l’Intérieur.

Quand j’ai commencé à me renseigner sur les aigles à Dutch Harbor, presque tout le monde m’a immédiatement demandé si j’avais visité la décharge. William “B.J.” Cross est le gestionnaire de celle-ci. Si vous travaillez à la décharge, surtout si vous gérez la décharge, vous savez que les aigles y sont assidus. B.J. doit faire face aux aigles à longueur de journée. “Je les aimais bien au début”, m’a-t-il dit. Mais “ils deviennent très ennuyeux “, a-t-il déclaré. “Il n’y a pas grand-chose que vous puissiez faire puisqu’ils sont protégés. Parfois, on les arrose avec un peu d’eau. Nous avons des lasers et nous essayons de ne pas les pointer dans leur direction et de juste éclairer le bâtiment “, a-t-il dit. “Nous avons essayé de poser des éventails, mais les aigles ne s’en soucient même pas ».

Les oiseaux volent au-dessus des toits du bâtiment de compactage où ils déchirent tout ce qu’ils attrapent, jetant os, carcasses et autres ordures sur le sol ou sur tous ceux qui se trouvent en dessous. Ils se soulagent aussi sur les têtes des gens, sur les murs, les escaliers et les rampes, laissant un revêtement semblable à un Jackson Pollock de déchets blancs épais qui ne sentent pas beaucoup mieux que les ordures. À l’extérieur, ils essaient de déchirer les balles de déchets.

Cela me fait me demander si on peut respecter les symboles nationaux une fois qu’on les connaît bien. J’ai demandé à Andres Ayure, le lieutenant de la Garde côtière dont le téléphone a été volé et qui a presque été scalpé, s’il pensait que l’aigle méritait encore d’être notre oiseau national: «Je comprends que l’aigle soit un symbole, mais la plupart des gens ne connaissent pas l’autre côté de l’oiseau et c’est probablement mieux ainsi. Je veux dire par là que bien qu’ayant été attaqué, j’apprécie toujours la magnificence de l’aigle. Même si je le maudis quand même. ”

LAUREL BRAITMAN, Ph.D., est écrivain en résidence à l’École de médecine de l’Université Stanford. Son travail a paru dans The Guardian, The New York Times, Wired et ailleurs. Son livre paru en 2014, Animal Madness, a été un best-seller du New York Times.

 

 

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