Un regard américain sur le cinéma français contemporain
A France Made of More Than Whimsy
Rendez-Vous With French Cinema Looks at Real Life
Un cinéma français plus que de fantaisie
Rendez-Vous With French Cinema se tourne vers la vie concrète
D’après : Cahier de la Critique
Par STEPHEN HOLDEN
au New York Times 5 mars 2014
Paris n’est plus le centre de l’univers. L’amour ne fait plus tourner le monde et Catherine Deneuve, calme et Gaulois symbole majestueux de la beauté éternelle est descendue de son piédestal. Ce sont là quelques-uns parmi les écarts de la tradition les plus significatifs de la 19e édition du Rendez-Vous du Cinéma Français [Rendez-Vous With French Cinema,] la vitrine annuelle de films récents français présentés par la Film Society du Lincoln Center et Unifrance Films à New York.
Dans le premier film présenté : On my way, [Elle s’en va], Mme Deneuve, 70 ans, joue une ancienne lauréate de concours de beauté qui, trahie par son petit ami de longue date quitte sa vie de petite bourgeoise et prend impulsivement la route vers la campagne. Sans destination fixe, elle se retrouve dans ce qu’on pourrait appeler « la vraie France ».
Plus que toute précédente édition de Rendez-vous du Film Français, cette dernière édition de Rendez-Vous… commence par secouer l’ancienne tendance de la série à s’éterniser sur la nostalgie. Cette dernière sélection m’a donné le sentiment qu’une bulle venait d’être crevée, ou peut-être même avait-elle éclatée, et que la vie tumultueuse de tous les jours avait mis le pied dans la porte du cinéma français.
Parce que le cinéma français répartit soigneusement ses films les plus solides aux différentes séries et festivals, Rendez-Vous… n’est qu’une anthologie limitée d’un best-of qui se concentre sur les films sortis l’année dernière. La nouvelle édition qui se déroule jusqu’au 16 mars à la Film Society, le centre IFC et la cinémathèque BAM de New York ne présente aucun grand film, mais beaucoup de bons films et un seul à éviter: ” Tip Top ” [Mal à la tête], une farce ratée avec Isabelle Huppert en officier de police un peu spéciale.
Les mêmes tumultueuses et bouleversantes tensions économiques dans le reste du monde influencent manifestement un certain nombre de films. L’un des plus troublants, est : the marchers [ La marche ] du réalisateur belge Nabil Ben Yadir, qui récrée, les effets d’une marche contre le racisme et l’inégalité de 1983, après que la police ait tiré sur les marcheurs et abattu un jeune maghrébin. Bien que datant de plus de trente ans, le casting multinational du film lui donne un air contemporain. Pourtant, l’optimisme du film sur l’issue de la protestation pacifique organisée sent un peu l’eau de rose.
Le documentaire de Julie Bertuccelli : School of Babel [La cour de Babel], filmé sur un an, observe les élèves dans une classe d’accueil parisienne, dans laquelle on donne des cours de français aux enfants d’immigrants âgés de 11 à 15 ans. Les relations entre enseignants et élèves sont parfois tendues, mais cette contrepartie réaliste au long métrage de 2008 de Laurent Cantet: La Classe, est une contemplation optimiste, séduisante même, du melting pot français contemporai
Les conflits de classe et d’ethnicité sont explorés dans ” Les Apaches “, le film de Thierry de Peretti qui se déroule en Corse, où les adolescents d’origine arabe et marocaine, nécessiteux et aliénés, mijotent avec ressentiment. Ces adolescents sont la réponse française aux enfants nihilistes d’un film de Larry Clark.
Les jeunes et détestables voleurs qui traînent dans une gare parisienne dans Eastern Boys [“Boys Est] de Robin Campillo sont des immigrants illégaux en provenance d’Europe de l’Est, de Tchétchénie et d’ailleurs, qui se constituent en bandes pour se protéger mutuellement. Lorsque l’un d’eux, un débrouillard prostitué ukrainien, est dragué par un homme âgé, solitaire, gai et bien nanti leur rendez-vous conduit à une invasion de domicile effrayante qui a de lourdes conséquences .
Mon film préféré est ” Grand Central “, de Rebecca Zlotowski dans lequel un jeune ouvrier (Tahar Rahim) prend un emploi périlleux dans une centrale nucléaire où les employés sont tenus de porter un dosimètre qui mesure leur exposition aux radiations, et de se nettoyer à fond après avoir approché le réacteur. Le jeune ouvrier entreprend une aventure clandestine avec la fiancée (une Léa Seydoux passionnée) d’un collègue plus âgé pour qui il risque sa vie afin de le sauver de la contamination radioactive. Dans une puissante métaphore du film, l’usine est une bête indocile où les travailleurs angoissés peinent dans ses entrailles, l’accord entre les collaborateurs est intensifié par leur dépendance à l’égard les uns des autres pour leur survie en cas d’accident. Un titre plus précis pourrait être : Fukushima Mon Amour.
Avec Young & Beautiful [Jeune et jolie] François Ozon poursuit la série de succès d’un directeur qui possède une compréhension particulièrement aiguë du désir. Son personnage central, la maussade Isabelle (Marine Vacth) , est une jolie fille de 17 ans qui, à l’insu de sa mère et de son beau-père , se prostitue sur Internet.
” Suzanne ” de Katell Quillévéré saute par dessus deux décennies de la vie autodestructrice de son personnage titre. Ce portrait d’une créature passionnée et sauvage qui tombe amoureuse d’un mauvais garçon et en accepte stoïquement les conséquences présente le spectacle fascinant de Sara Forestier et Adèle Haenal (qui vient juste de remporter le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour la représentation de la fidèle sœur de Suzanne). Mme Forestier est également en vedette avec James Thierrée dans le prétentieux Love Battles [Mes Séances de lutte], de Jacques Doillon, au cours duquel la guerre des sexes est distillée dans un match de catch érotique, à poil, qui suggère In the Realm of the Senses [L’Empire des Sens] de Nagisa Oshima remanié par DH Lawrence.
Mood Indigo [L’écume des jours] de Michel Gondry est une fascinante fantaisie visuelle adaptée du roman de Boris Vian. Perdu au milieu d’un jazz magnifique et nostalgique. Ce feu follet d’une histoire d’amour entre Romain Duris et Audrey Tautou est garni d’effets spéciaux et de gadgets loufoques qui comprennent un « pianocktail »,une machine qui traduit la magie de la musique en boissons exotiques .
Le film de clôture, satire politique de Bertrand Tavernier The French Minister [Quai d’Orsay], est une réponse gauloise à la comédie frénétique britannique In the Loop. Campé pendant la présidence de George W. Bush, il est plus clairement grotesque que son homologue britannique. Le ministre des Affaires étrangères, le comique français Thierry Lhermitte est un vantard qui crache des slogans en mouvement et rend la vie misérable à un rédacteur novice de discours (Raphaël Personnaz ) . Avec In the Loop, et son homologue de la télévision américaine, Veep, il dépeint les coulisses de la vie politique comme une mode de vie qui s’approche du chaos. La seule influence empêchant une complète dégradation est la directrice du bureau du ministre, joué avec un calme imperturbable par Niels Arestrup, qui vient de remporter le César de meilleur acteur dans un second rôle pour sa performance dans le film.
Mon second film préféré est le conte de fée contemporain Under the Rainbow [Au Bout du Conte] d’Agnès Jaoui. C’est une comédie multi générationnelle et sophistiquée, située dans Paris et accompagnée d’un magnifique score de musique classique. L’héroïne de 22 ans (Agathe Bonitzer) a, en attendant le prince charmant, le coup de foudre pour deux hommes bien galbés: un compositeur et un critique de musique qui s’enthousiasme pour l’œuvre du compositeur . Comme dans les précédents films de Mme Jaoui, ses personnages sont très tendus, névrosés, et complexes.
Si Rendez-vous… a ouvert plus grand que d’habitude ses portes cette année, soyez assurés qu’il n’a pas complètement abandonné Paris et l’amour. Ce serait impensable.